

Quelles sont les tablettes scolaires qui ont été découvertes dans la ville d’Ur ? S’interroge l’assyriologue Dominique Charpin. Y avait-il une école au n°7 Quiet Street ? Comment l’étude de cette maison amène-t-elle une image différente de l’apprentissage de l’écriture ?
- Dominique Charpin Assyriologue, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire "Civilisation mésopotamienne"
Quels sont les débats autour du n°1 Broad Street qui était l’école par excellence pour l’archéologue britannique Woolley ? Qu’ont apporté les fouilles de 2017 au dossier de l’apprentissage de l’écriture ?
L’épigraphiste Dominique Charpin, qui a une formation d’archéologie et de philologie, titulaire de la chaire « Civilisation mésopotamienne », nous entraîne en Irak à la redécouverte de « La ville d'Ur à l'époque paléo-babylonienne » entre 2004 et 1595 av. J.-C., dans le cadre de sa série, entre recherches de terrain et analyse de textes.
Pour l’épigraphiste, le cas d’Ur permet de voir quel rôle jouait l’écrit dans la formation des apprentis et dans la transmission des traditions. Il s’attache aujourd’hui à l’étude de trois dossiers en particulier :
- la maison du n° 7 Quiet Street (quartier "EM", selon la formulation des archéologues).
La présence de tablettes scolaires au n° 7 Quiet Street, note Dominique Charpin, ne laisse aucun doute sur le fait que cette maison servit de cadre à un apprentissage scribal. Qui plus est, elles reflètent un curriculum qui correspond assez bien à celui que décrivent les textes académiques sur l'eduba : copies de listes lexicales, d'inscriptions royales, de textes sumériens littéraires, ainsi qu'exercices de calcul et de géométrie. Peut-on pour autant parler d'école ? Tout est affaire de définition.
- la pseudo « école » du n°1 Broad Street (quartier "AH", présenté dans le cours précédent). Dominique Charpin rappelle les questions que soulèvent la maison du no 1 Broad Street. Il note :
On voit qu'au n°1 Broad Street la question du rapport entre "école" et "bibliothèque" se pose d'une façon très différente de ce qu'on a vu n°7 Quiet Street. On a en effet retrouvé en ce lieu des tablettes représentatives de l'ensemble du corpus de la littérature sumérienne. Qui plus est, ces tablettes semblent avoir été inventoriées, sinon classées, comme si on avait éprouvé le besoin de les consulter. Cela ne signifie pas pour autant qu'elles n'aient été à l'origine l'oeuvre d'étudiants avancés. Au total, l'image offerte par le n°1 Broad Street se rapproche davantage de l'eduba "classique" que celle du n°7 Quiet Street
- la maison de l’intendant du temple de Ningal, Sin-nada (fouilles de 2017).
L’épigraphiste-archéologue souligne que l'un des intérêts des découvertes épigraphiques dans la maison de Sin-nada réside dans les nombreux textes scolaires exhumés.
On a notamment retrouvé plusieurs tablettes en forme de lentilles, typiques des exercices auxquels se livraient des apprentis scribes. Après avoir lu et mémorisé les lignes d'écriture inscrits par le maître sur la face, ils devaient reproduire le texte sur le revers. Il s'agit d'extraits de textes de la littérature sumérienne. Cet apprentissage ne se limitait pas aux rudiments, car un manuscrit de la Lamentation sur Sumer et Ur a également été découvert dans cette maison. Cette composition décrit de manière très imagée les circonstances qui ont conduit à la chute de la Troisième dynastie d'Ur, vers 2004 av. J.-C., d'une manière qui visait clairement à légitimer la dynastie d'Isin qui prit sa suite
Notre Sin-nada n'assurait donc pas seulement la gestion du temple de Ningal en tant qu'intendant, comme le montre son titre de UGULA É ; il n'oubliait pas sa formation initiale de scribe (dont témoigne son titre de DUB.SAR) et formait aussi à domicile de futurs scribes.

Dominique Charpin dans une communication de 2004, intitulée, « Lire et écrire en Mésopotamie : une affaire de spécialistes ? » rappelait les qualités du support en argile, peu cher, recyclable et résistant au feu et à l’eau (les 2 ennemis des archives), ainsi que sa longévité (ses débuts se situent vers 3200, le dernier texte daté a été écrit en 70 de notre ère).
Le support qui fut choisi dès l’origine est l’argile. C’est ce qui explique le nom même de l’écriture cunéiforme, en raison de l’apparence des signes, résultant de la combinaison de coins (ou clous) formés par l’impression d’un calame en roseau à la surface d’une tablette d’argile.
L’écriture cunéiforme, poursuit-il, est de nature mixte, comportant à la fois des logogrammes (1 signe pour 1 mot) et des phonogrammes (1 signe pour 1 syllabe). Le répertoire compte environ 600 signes, ayant le plus souvent plusieurs valeurs syllabiques et logographiques .
Cette apparente complexité pour les férus d’écriture alphabétique a commencé à être déchiffrée, il y a 150 ans.
Dans le cours d’aujourd’hui, Dominique Charpin montre :
"la connaissance du cunéiforme n'était pas réservée à une petite caste de spécialistes, les scribes, mais les membres de l'élite étaient généralement capables de lire et en cas de besoin d'écrire. C'est ce que Niek Veldhuis a récemment désigné comme functional literacy, terme difficile à traduire, par opposition à la connaissance savante du cunéiforme, réservée à quelques uns. "
"Le clergé, en particulier, non seulement pratiquait l'écriture, mais participait activement à la transmission de ce savoir. "
Dans sa leçon inaugurale, intitulée " Comment peut-on être Assyriologue", Dominique Charpin explique :
Lorsqu’on me demande quel est mon métier, j’évite de répondre que je suis « assyriologue » pour ne pas mettre mon interlocuteur dans l’embarras. Quand je le fais, on me répond parfois : « Ah oui, vous travaillez sur les hiéroglyphes. » Eh non, l’assyriologue n’est pas un égyptologue. Il est vrai que le mot assyriologue a été forgé par Ernest Renan en 1859 sur le modèle d’égyptologue. Au contraire de l’égyptologue, l’assyriologue n’était donc pas, ipso facto, un archéologue. L’assyriologue s’occupait de déchiffrer les textes en langue assyrienne découverts en quantité dans le nord de l’Irak actuel, l’ancienne Assyrie, à partir de 1843. On s’aperçut peu après que, outre l’assyrien, l’écriture cunéiforme avait servi pour une langue-sœur, le babylonien : babylonien et assyrien avaient divergé vers 2000 avant notre ère à partir de leur ancêtre, une langue sémitique que leurs locuteurs eux-mêmes désignaient comme « akkadien ». Par ailleurs, à partir de 1877, les fouilles de Tello montrèrent que, avant l’akkadien, le cunéiforme avait servi à écrire une langue complètement différente, le sumérien. La sumérologie devint donc peu à peu une branche particulière de l’assyriologie au sens large. Et la suite des recherches montra qu’au cours du IIe millénaire avant notre ère, l’écriture cunéiforme avait aussi été employée pour noter d’autres langues, (comme le hourrite, le hittite ou l’élamite). Dès lors, le terme assyriologue est devenu ambigu : dans son acception large, il désigne toute personne qui étudie des textes notés dans l’écriture cunéiforme. Mais ces textes, écrits dans des langues très différentes, relèvent de civilisations distinctes, même si elles ont été en contact suffisamment étroit pour partager une même écriture.
Alors comment s’effectuait l’apprentissage de l’écriture cunéiforme ?
Nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 20 juin 2018, pour le cours de Dominique Charpin, intitulé La ville d'Ur à l'époque paléo-babylonienne, aujourd’hui « La formation des scribes et le problème de la littératie »
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