Quelle a été l’atmosphère de terreur exercée auprès de la population, quand le corps des janissaires a été aboli en juin 1826? s'interroge Edhem. Que nous apprennent les pierres tombales, l’épigraphie funéraire de cette guerre sacrée lancée par l’Etat ottoman contre les rebelles qualifiés d’impies?
- Edhem Eldem professeur d'histoire à l'Université de Bogaziçi à Istanbul, titulaire de la chaire internationale d'histoire turque et ottomane au Collège de France
Comment le corps aboli n’est-il plus dès lors nommé ? Comment est-il frappé de « damnation mémorielle » ? Quelle légende d’Etat se met en route et que peuvent nous apprendre les rapports d’ambassades, le regard des étrangers face au discours univoque étatique ottoman ?
Titulaire de la chaire internationale d'Histoire turque et ottomane au Collège de France, Edhem Eldem s’attache cette semaine, dans le cadre de sa série consacrée à « L’Empire ottoman et la Turquie face à l'Occident, dans les années 1820-1830 ».
Dans la présentation de son cours, Edhem Eldem rappelle que "le passé turc n’est pas qu’ottoman et [que] l’histoire ottomane n’est pas que turque."
Ce questionnement s’inscrira à son tour dans une chronologie chevauchant les périodes moderne et contemporaine, du dix-huitième siècle à nos jours.
"Les cours reprendront les grands moments de la période : intégration avec l’Europe au tournant du dix-neuvième siècle, réformes étatiques des années 1820 et 1830, rêves « ottomanistes » des années 1850 et 1860, crise de 1876, autocratie hamidienne, révolution jeune-turque, débâcle de la Première Guerre Mondiale... Une chronologie bien connue, mais qui mérite un approfondissement critique à l’appui de textes et de documents contemporains, ainsi que d’une approche diversifiée permettant de croiser des aspects différents mais convergents d’une réalité extrêmement variée. De la culture funéraire aux institutions financières, de l’anatomie des massacres aux biographies intellectuelles, de l’usage de la photographie à l’invention des ordres et décorations, de la naissance d’un orientalisme ottoman à la constitution d’une pratique archéologique, nombre d’études viendront se greffer sur ce récit central pour en dévoiler la richesse et la complexité. "
Edhem Eldem poursuit aujourd'hui son analyse des événements de juin 1826, après le massacre des janissaires. Le corps d'élite ottoman devient le "corps aboli", "dont le nom et les symboles sont entièrement enlevés et effacés de la face du monde".
L'historien cite Raoul de Malherbe, qui écrit dans L’Orient 1718-1845, Histoire, politique, religion, mœurs, etc. :
"Le 17 [juin 1826], un hatti-schérif abolit l’odjak et créé l’asakiri-mansoureh-mohammedyé, dont Husseïn est nommé sérasker ; le nom, le costume, les insignes des janissaires sont proscrits ; le muphti les maudit et les foule aux pieds, et la majesté même des tombeaux ne peut les garantir de la destruction." (Paris : Gide et Cie, 1846, t. II, p. 586)
La "damnation mémorielle" touche même les pierres tombales. E. Barrault rapporte dans Occident et Orient. Études politiques, morales, religieuses pendant 1833- 1834 de l’ère chrétienne 1249-1250 de l’hégire :
"Les tombeaux des janissaires eurent aussi leur persécution ; partout le turban distinctif, qui, selon l’usage, les surmontait, fut brisé comme le signe d’une corporation séditieuse et désormais rayée du livre de vie." (Paris : Dressart, 1835, p. 17)
Nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 25 janvier 2019, aujourd’hui, la plus grande des guerres saintes.
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