Le carré, comme forme d’hyperstabilité : épisode 4/9 du podcast Universalité, mondialité, cosmopolitisme - Chine, Japon, Inde (suite)

Former residence of Chen Ci-Hong, 2008
Former residence of Chen Ci-Hong, 2008 - Wikicommons/Alexchen4836
Former residence of Chen Ci-Hong, 2008 - Wikicommons/Alexchen4836
Former residence of Chen Ci-Hong, 2008 - Wikicommons/Alexchen4836
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Comment la forme du carré et notamment le carré en damier à 9 cases est-il la représentation spatiale et symbolique par excellence en Chine?

Avec
  • Anne Cheng Sinologue, titulaire de la chaire « Histoire intellectuelle de la Chine » au Collège de France.

Anne Cheng, titulaire de la chaire «Histoire intellectuelle de la Chine» questionne toute cette semaine ce qu’elle définit comme « la prétention chinoise à l’universalité » et son rapport à la « centralité » dans la pensée classique, dans le cadre de sa série pluri-annuelle intitulée, "Universalité, mondialité, cosmopolitisme - Chine, Japon, Inde ».

Dans sa leçon inaugurale, le 11 décembre 2008, Anne Cheng recommandait d’« entraîner et affiner notre oreille à écouter parler les textes et les auteurs chinois dans le leur langue et leur contexte », de pratiquer, ce qu’elle appelle une «écoute musicale ». Tout au long de cette série, elle cite les textes en chinois, décrit les graphèmes, fait jaillir les rimes, les symétries et les symboliques.

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Son cours, quant à lui, reprend à chaque séance les termes du précédent, en l’enrichissant et fait penser à ces exercices physiques et spirituels où la connaissance et l’approfondissement passent par de justes répétitions. Ici le travail lent, qui reboucle sur lui-même favorisant l’intériorisation, se fait jour, tandis que notre historienne de la pensée chinoise défend aussi un travail de réflexion mené sur plusieurs années, comme le permettent les cours du Collège de France.

Dans un article donné en début d’année au Monde, Anne Cheng rappelait les rapports entre l’homme et le cosmos en Chine : elle évoque une « vision holiste du monde » qui se résume,

"dans une notion centrale et omniprésente dans la pensée traditionnelle chinoise, celle de qi. Il s’agit de l’énergie vitale qui anime tous les êtres, constitutive d’un lien de continuité entre l’homme et le cosmos en une triade Ciel-Terre-Homme : le Ciel recouvre, la Terre porte et l’Homme parachève l’œuvre du Ciel-Terre".

Elle indiquait :

"Cette unité anthropocosmique, qui infuse d’une même énergie le monde humain autant que son environnement naturel, se traduit dans certaines pratiques partout dans le monde : on pense à la médecine chinoise traditionnelle qui puise dans des ressources animales, végétales ou minérales, au taijiquan qui consiste en une pratique corporelle visant à l’entretien de l’énergie vitale, ou au fengshui, sorte de géomancie à laquelle ont encore recours les hommes d’affaires modernes pour décider de la meilleure ­façon d’orienter un bâtiment."

Le cours d’aujourd’hui poursuit l’exploration de la forme carrée dans cette approche anthropocosmique et la façon dont sa déclinaison en plusieurs carrés assure un ordre et une hyperstabilité. Ainsi le palais cosmologique, Ming tang, palais de lumière en semble l’incarnation parfaite, par sa forme carrée autour de laquelle le fils du ciel déambule de mois en mois pour proclamer la nouvelle lune et symboliser le rayonnement de la vertu du souverain. Anne Cheng questionne aussi le plan en damier de la ville ou de la capitale dont les traces peuvent perdurer jusqu'à aujourd’hui, ce schéma quadrillé se retrouvant aussi dans la distribution des champs, le damier dessinant un espace rural lui aussi quadrillé… De cette déclinaison du carré, du quadrillage, découle une traduction en termes de hiérarchisation sociale et politique, voire même civilisationnelle.

Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 5 janvier dernier, pour le cours d’Anne cheng, aujourd’hui « le carré, comme forme d’hyperstabilité »

Pour prolonger :

Anne Cheng, "Nuit des idées. Et si la Chine se souvenait du ciel ?", Le Monde, 24 janvier 2017.