

Quelle révolution mentale s’est jouée, dans la forêt amazonienne habitée & travaillée par les Achuars, pour l’anthropologue Philippe Descola? Il y a découvert un "monde de complexité écologique" & de diversité culturelle, loin des clichés. Il interroge le comparatisme qu'il pratique dans son métier.
- Philippe Descola Anthropologue, professeur au Collège de France.
Comment la démarche ethnographique est-elle « tissée en permanence de comparaisons? s’interroge-t-il. Quelles formes peut prendre le comparatisme en ethnologie et en anthropologie ?
Médaille d’or du CNRS en 2012, directeur d'études à l’ EHESS, normalien, philosophe de formation, Philippe Descola a été professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Anthropologie de la nature de 2000 à 2019. Pour son ultime série de cours, dans l’institution pluriséculaire, où Claude Lévi-Strauss et Françoise Héritier l’on précédé, Philippe Descola nous propose un retour à la fois réflexif et rétrospectif sur la démarche comparatiste qui anime les disciplines de sa vie, qu’il soit passé par l’ethnographie, l'ethnologie ou l’anthropologie. Il est l’auteur d’une thèse d’ethnologie sous la direction de Claude Lévi-Strauss, sur les Indiens Achuars en Haute Amazonie qu’il a étudiés à la fin des années 1970 et dont il est devenu le spécialiste.
En 2006, interrogé par le magazine, Le Monde de l’Education sur l’origine de son intérêt pour les rapports entre les humains et les non-humains, Philippe Descola rappelait :
« Ce questionnement puise sa source dans une rencontre avec un peuple qu’on appelle Jivaros, qui préfère se dénommer Achuar, les gens du palmier d’eau, isolés dans la jungle de haute Amazonie, aux confins de l’Equateur et du Pérou. Pour les indiens de cette tribu dont j’ai partagé la vie trois années durant, les non-humains sont au cœur de la vie sociale. Les singes y devenaient des beaux-frères, les plants de manioc des enfants... Il m’a fallu dissiper mon incrédulité et réduire ce scandale logique provoqué par ces sociétés qui n’ont pas encore séparé nature et culture. Que ce soit chez les Achuars, où les non-humains sont animaux et végétaux, ou dans nos sociétés hyper-industrialisées, le problème reste le même. La séparation humain/non-humain, nature/artefacts est aujourd’hui dépassée. Il faut repenser cette relation pour ne pas osciller éternellement entre un prophétisme technophile et une apocalypse technophobe ».
Alors que nos forêts brûlent, que nos sociétés se consument, que les prophètes d’apocalypses prolifèrent, tandis que de nombreux dirigeants jouent la carte du redoutable « management par la peur », Philippe Descola nous propose à sage distance et avec passion, une formidable boîte à outils… avec sa dernière série intitulée « Qu’est-ce que comparer? »
Interrogé par le journal Le Monde, en 2019, sur la révolution mentale à opérer face à l'urgence écologique et aux crises sociales Philippe Descola met en valeur un signe de changement en particulier quand "la personnalité juridique" a été récemment concédée au fleuve Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
"On a donné, dit-il, des droits n’ont pas à la nature, qui est une abstraction, mais à un milieu de vie. Si l’on veut dépasser l’individu maître et possesseur de la nature, il faut transformer des milieux de vie en sujets de droit. Ce n’est pas absurde, ça c’est fait dans le droit romain, lorsque des dieux étaient propriétaires de terre dont les temples avaient la charge. (...)"
"Certes les fleuves n’ont pas de devoirs, contrairement aux humains, mais le fait, poursuit Philippe Descola, que les humains tirent leur légitimité juridique du fait qu’ils habitent les rives de ce fleuve, qu’ils contribuent à son bien-être et que de ce fait, ils contribuent au leur, est une transformation profonde de la philosophie classique du droit de propriété. Ces petites transformations nous orientent vers l’idée d’un monde formé de communautés locales, beaucoup plus indépendantes et pourtant interconnectées."
Philippe Descola conclut :
"le grand défi de ce siècle c'est d'imaginer des institutions rendant possible la vie commune entre des collectifs territorialisés relativement autonomes mais qui respectent tous des devoirs vis-à-vis du système Terre. Nos instruments internationaux ne permettent pas cela, ce sont des systèmes interétatiques. Un gigantesque travail conceptuel et philosophique reste à accomplir analogue à celui réalisé par les philosophes du XVIIIe siècle et les penseurs socialistes du XIXe siècle. Face à une situation très dégradé et injuste, de nouvelles formes politiques sont à inventer."
Nous gagnons tout de suite l’amphithéâtre du Collège de France, le 30 janvier 2019, pour le cours de Philippe Descola, aujourd’hui « le comparatisme dans la démarche ethnographique et dans l’ethnologie »
Pour prolonger :
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Philippe Descola a récemment publié Une écologie des relations aux editons du CNRS et sa monographie La nature domestique : symbolisme et praxis dans l'écologie des Achuar fait l'objet d'une nouvelle publication aux Editions de la Maison des sciences de l'homme (MSH).
Nous rappelons aussi son ouvrage majeur Par-delà nature et culture publié en 2005 chez Gallimard
Interview, donnée par Philippe Descola en 2019 pour le site indépendant " Le Vent se lève" (série "Les Armes de la transition"). Pierre Gilbert lui demande "ce que pourrait être une nouvelle ontologie, une nouvelle philosophie de notre rapport à la nature, conciliable avec la préservation de l’environnement?
Un grand merci aux équipes de la Documentation d'actualité de Radio France.
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