Des temps anciens à aujourd’hui, quelle "part de Syrie, avons-nous, tous, en nous" ? Comment le jeu des puissances prétendant agir pour les minorités, à partir du milieu du XIXe siècle, a-t-il creusé à chaque fois leur tombeau ? S’interroge l’historien Jean-Pierre Filiu.
- Jean-Pierre Filiu Professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain
Cette semaine, voici trois contributions extraites du séminaire d’Henry Laurens, titulaire de la chaire, Histoire contemporaine du monde arabe, dans le cadre de sa grande réflexion sur la Culture politique arabe en 2017.
C’est Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po, qui ouvre cette réflexion, avec engagement et sensibilité, à partir de son livre, Le Miroir de Damas, publié en 2017 à la Découverte.
Humanitaire au Liban au moment de la guerre civile libanaise, diplomate, chercheur, ayant longtemps vécu en Syrie (son premier séjour remonte à 1980), Jean-Pierre Filiu a eu plusieurs vies, ce que ne manque pas de rappeler Henry Laurens.
En ouverture du Miroir de Damas, Jean-Pierre Filiu note que nous avons tous en nous une part de Syrie. Il se donne donc pour projet de renouer avec la part de l'histoire universelle qui s'est déroulée là-bas, au-delà des violences inimaginables d’aujourd’hui et de l’instrumentalisation des faits qui peut en résulter.
Les espaces de Syrie, ses cités, ses vallées, ses citadelles sont saturés d'une histoire complexe, souligne l'historien.
Le séminaire d’aujourd’hui nous fait entrer dans cette histoire riche et complexe, de Saint-Paul à la haute figure d’Abdelkader, l’Algérien sauveur de chrétiens, des Omeyyades à la mise en valeur de cette terre, à la fois espace de massacres et de refuge, berceau de bien des mouvements et du jeu néfaste des puissances.
Nous y retrouvons la France qui s’attribue les destinées de la Syrie après la Première Guerre mondiale et une vision des mandats aux antipodes du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En dernière partie de sa conférence, Jean-Pierre Filiu interroge le "paradoxe gaullien". Qu'est-ce qu'on ne fait pas dire à Charles de Gaulle et à sa formule tronquée sur « l’Orient compliqué » ? se demande-t-il, avant de nous livrer la citation entière et un commentaire développé.
Au Magazine l’Obs en 2017, Jean-Pierre Filiu expliquant son projet soulignait :
J'ai voulu renouer avec la perspective du temps long, de saint Paul à Henry Kissinger. Cela permet un nouveau regard sur un conflit où tout le monde se sent impuissant (…).
Le martyre d'Alep, une des cités les plus anciennes de l'humanité, est à cet égard un tournant majeur. L'ONU y a laissé violer, à l'automne dernier, tous les principes du droit humanitaire. Et cela après avoir eu les preuves, mais sans en désigner le coupable, des bombardements chimiques d'août 2013.
Ne pas désigner l'auteur d'un crime imprescriptible préparait une faillite aussi retentissante de la communauté internationale. Les monstres ont été réveillés et
lâchés (…), ce qui se joue là-bas n'est pas qu'une affaire d'Arabes. Elle nous concerne au premier chef évidemment (…) parce qu'il y va de notre avenir collectif. L'idée que 'ce qui se passe en Syrie reste en Syrie' était moralement abjecte et stratégiquement inepte.
Tout de suite, nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 15 novembre 2017.
Pour prolonger :
Jean-Pierre Filiu a publié à La Découverte,
- Le Miroir de Damas (en 2017),
- Généraux, gangsters et jihadistes (2018)
- L’édition poche de son livre Les Arabes, leur destin et le nôtre, prix Augustin-Thierry 2015 des Rendez-vous de l'Histoire de Blois, vient de paraître.
Jean-Pierre Filiu publie aussi un blog sous le titre, « Un si proche Orient » sur Le Monde.fr
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Réalisation