"Les figures de l'engourdissement" : épisode • 2/11 du podcast Les années 1968-2018 : une histoire intellectuelle et politique (suite et fin)

Message TV de F. Mitterrand, 16 janv. 1991/Détail, couverture du catalogue, Exposition au Grand Plais, "Mélancolie"/Version anglaise, livre de J. Rancière, "La Leçon d'Althusser"(1975)/F. Furet, extrait note EHESS, création Association, juin 1980
Message TV de F. Mitterrand, 16 janv. 1991/Détail, couverture du catalogue, Exposition au Grand Plais, "Mélancolie"/Version anglaise, livre de J. Rancière, "La Leçon d'Althusser"(1975)/F. Furet, extrait note EHESS, création Association, juin 1980 - INA/Gallimard/Bloomsbury Academic/EHESS
Message TV de F. Mitterrand, 16 janv. 1991/Détail, couverture du catalogue, Exposition au Grand Plais, "Mélancolie"/Version anglaise, livre de J. Rancière, "La Leçon d'Althusser"(1975)/F. Furet, extrait note EHESS, création Association, juin 1980 - INA/Gallimard/Bloomsbury Academic/EHESS
Message TV de F. Mitterrand, 16 janv. 1991/Détail, couverture du catalogue, Exposition au Grand Plais, "Mélancolie"/Version anglaise, livre de J. Rancière, "La Leçon d'Althusser"(1975)/F. Furet, extrait note EHESS, création Association, juin 1980 - INA/Gallimard/Bloomsbury Academic/EHESS
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Quelles sont les mécanismes de l'engourdissement du laboratoire politique et des idées dans les années 1980? s'interroge Pierre Rosanvallon. Quelles sont les radicalités d'impuissance qui émergent? Comment l'Europe, "notre avenir", devient-elle une "bulle" d'espérances et d'attentes?

Avec
  • Pierre Rosanvallon Historien, professeur émérite au Collège de France, titulaire de la chaire d'Histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France

Pourquoi le repli sur le "cercle de la raison?" Comment s'est manifestée une mélancolie de gauche? Pourquoi la "tentation de la régression technocratique"? Quel est le nouveau paysage politique et intellectuel à partir des années 1990 et le tournant du siècle?

Pierre Rosanvallon, titulaire de la chaire Histoire Moderne et Contemporaine du politique propose de revenir sur plus de 50 ans de recherches intellectuelles et politiques, de retrouver, selon sa formule « le chemin des enthousiasmes et des explorations de 1968 à nos jours ». Les fructueuses années post 68 jusqu'au tournant, lourd de conséquences, de la rigueur en 1983, ont fait l'objet du premier cycle de cours, en 2017, dans le cadre de la série sur deux ans, Les années 1968-2018 : une histoire intellectuelle et politique.

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Pour cette nouvelle série de cours, le grand chercheur du laboratoire démocratique, mêle à nouveau l’analyse des événements et des acteurs à son itinéraire personnel, lui-même étant témoin et acteur de cette histoire. En 1966, il est étudiant à HEC et il milite à l’Union des Grandes Ecoles (UGE), liée à l’UNEF (Union Nationale des Etudiants de France) et comme beaucoup d’autres, il sera travaillé, sinon transformé par les événements de 1968 et l’effervescence et les contradictions de ces années, ouvertes et créatives. Au lieu de gagner l’entreprise Pierre Rosanvallon deviendra un « intellectuel organique », selon ses propres mots pour la CFDT, syndicat qui a su prendre le train des interrogations et des aspirations de ces années 1966-1970, où l’esprit de mai en 68 "fait voir l’avenir en grand", à rebours des "années d’hiver" comme seront qualifiées, plus tard, les années 1980. Le premier cycle de cours s'était achevé sur cet hiver des idées et du laboratoire politique, sur "les effets de l’essoufflement politique et des transformations de la vie intellectuelle". Le deuxième cycle de cours reprend sur cet essoufflement des années 1980, tout en partant des maux d'aujourd'hui, en articulant temps long et temps court et en ne cessant d'interroger le mot "populisme" et le désenchantement démocratique.

Dans une interview donnée au magazine Le Point, le 18 mai 2017, Pierre Rosanvallon explique, dans l'actualité de l'élection présidentielle en France et dans le contexte des interrogations autour du phénomène des populismes triomphants en Europe et dans l'Amérique de Trump (où le populisme a pu être analysé comme "une aspiration à la démocratie directe et réelle"):

Le populisme se nourrit des dysfonctionnements de la société en terme de solidarité, de redistribution, mais il prospère aussi sur les bases du désenchantement démocratique. Il y répond par une espèce de démocratie imaginaire qui passe par l’acclamation par le référendum, qui n’est pas le dernier mot de la démocratie. Celui-ci peut prendre un sens fort dans des moments solennels et sur des questions essentielles, mais la démocratie n’est pas que la décision populaire. Elle consiste à construire des politiques dans le temps. La démocratie ne peut pas être le pouvoir immédiat d'un peuple fantasmé. C’est celui d’une volonté commune qui se construit dans le temps grâce a l’action publique, mais aussi avec la vigilance d’un Conseil constitutionnel et la régulation des autorités indépendantes qui sont d’autres gardiens de l’intérêt général."

Dans cette même interview, Pierre Rosanvallon rappelle :

"Mon travail consiste à conceptualiser la démocratie et les questions sociales". 

Il réaffirmera ce regard engagé au cours de la série de cette année, l'articulation entre grande histoire et témoignage personnel servant « à faire progresser la conceptualisation des phénomène politiques contemporains »

Renouant avec le fil de son analyse sur les années 1980 et la "jachère des idées", Pierre Rosanvallon indique en ouverture du cours d'aujourd'hui : 

"L’engourdissement de ces années a pris différentes formes. La première a procédé de ce qu’on pourrait appeler une dérivation, avec la substitution progressive d’un idéal européen aux contours relativement flous à l’ambition première d’un profond changement du pays. La deuxième a pris le visage d’une dissociation consentie entre la pensée et l’action, différentes expressions de radicalité intellectuelle allant de pair avec la reconnaissance d’une impuissance de fait à réorienter le cours des choses ; elle a conduit à faire de la posture une politique. La troisième a été de l’ordre d’une régression défensive, celle d’un glissement vers une vision technocratique, la crainte de l’irresponsabilité de la gauche traditionnelle conduisant à un repli sur un « cercle de la raison »."

Et nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 10 janvier 2018, pour le cours de Pierre Rosanvallon, « Les années 1968-2018 : une histoire intellectuelle et politique. », aujourd’hui "Les figures de l'engourdissement"

Pour prolonger :

Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle. Le livre des Passages, trad. De Jean Lacoste, Paris, éditions du Cerf, 1989.

Jacques Derrida, Spectres de Marx, Editions Galilée, (Réédité en 2006)

Jacques Rancière, La Leçon d'Althusser, Première édition, Collection Idées (n° 294), Gallimard, 23-01-1975

Dans le cours d'aujourd'hui, Pierre Rosanvallon avant d'analyser la double critique de Jacques Rancière rappelle le contexte :

"La leçon d’Althusser, le premier livre de Jacques Rancière, publié en 1974, avait eu pour moi un effet libérateur. Venant d’un des membres du groupe qui avait publié avec le maître Lire "Le Capital", la charge avait retenu l’attention. Ce n’était pas tant les thèses proprement dites d’Althusser qui y étaient discutées que ce qu’il avait appelé « la politique d’une pensée ». C’est l’attitude des maos en mai 1968 qui entouraient à l’ENS le maître qui lui avait ouvert les yeux sur la nature de leur sectarisme. Se considérant comme les gardiens du temple marxiste-léniniste, ils avaient en effet spontanément méprisé les étudiants en révolte, les traitants de petits bourgeois et de spontanéistes pseudo-révolutionnaires. Mais ce n’était pas à l’aune du contenu des revendications effectives du mouvement ou de la conduite de son action que ceux-ci avait été jugés. Il leur avait d’abord été reproché de méconnaître le sens de la lutte des classes et d’être à leur insu les jouets d’une idéologie qui les égarait, de ne pas avoir eu en un mot la science véritable de leur malheur."

Joseph Romano, « Des sciences sociales pour gouverner ? François Furet, de la présidence de l’EHESS à la Fondation Saint-Simon (1977-1982) », Genèses, 2015/2 (n° 99), p. 113-130. L'extrait de la note de François Furet en juin 1980 qui annonce la création d'une association pour le développement des sciences sociales, (1re page. AN, 19920572 art. 1) est tiré de cet article.

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