Quelle est la combinaison de succès et d’échecs qui marque le programme de réformes des Tanzimat, entre 1839 et 1856 ? s’interroge l’historien Edhem Eldem.
- Edhem Eldem professeur d'histoire à l'Université de Bogaziçi à Istanbul, titulaire de la chaire internationale d'histoire turque et ottomane au Collège de France
De quelle manière, cette tentative de modernisation de l’Empire Ottoman s’attache-t-elle à « mettre en exergue » l’art, l’archéologie et la science, — domaines naguère, loin des préoccupations de la Sublime Porte, avec un succès, plus ou moins mitigé?
Titulaire de la chaire internationale d' Histoire turque et ottomane au Collège de France, professeur à l’université anglophone de Boğaziçi, Edhem Eldem nous entraîne dans une grande série pluriannuelle, intitulée, "L’Empire ottoman et la Turquie face à l’Occident". Il analyse, depuis la fin du XVIIIe siècle, les rapports complexes entre les puissances Européennes, engagées dans une florissante et séduisante modernité, et la « petite forteresse isolée », « battue par les flots » qu’est l’Empire ottoman, en quête de « survie », selon les mots d’Edhem Eldem, dans une période extrêmement mouvementée ». Depuis la semaine passée, il s’attache à la période clé des réformes, entre 1839 et 1856, l’ère des Tanzimat ou « réorganisation », pour « régénérer » le vieil empire ottoman multi-ethnique et multiconfessionnel à l’aune occidentale.
L’historien a analysé le contenu du décret de Gülhané, proclamé le 3 novembre 1839, à la fois en turc et en français. Il a montré que le document « se référait essentiellement à des questions de réorganisation de l’État – assiette fiscale, conscription militaire et application de la justice – en des termes qui soulignaient la continuité plutôt que l’innovation ».
Si la nouveauté radicale du décret tient dans l’instauration d’un « dialogue entre le souverain et son peuple », on est loin cependant, note Edhem Eldem, de pouvoir « attribuer à ce texte une nature constitutionnelle », comme certains observateurs ont pu être tentés de le faire.
Cela posé, pour l’historien, le décret des Tanzimat marque « un tournant ».
« C’est, dit-il, une intention forte du gouvernement de faire état d'une nouvelle vision de la politique, du système de l'État, des relations entre l'État et le peuple, entre le sultan et les bureaucrates, entre l'État et le système proprement dit. Et ce qui est intéressant, c'est de voir l'apparition de termes nouveaux, comme « liberté" ou « patrie". (…) c’est une terminologie qui n'existe pas, ou du moins qui n'est pas utilisée dans ce contexte là, dans les documents ottomans antérieurs ».
Si la rhétorique du programme de réformes s’avère forte, "la substance en est plus faible" comme nous allons le découvrir, aujourd’hui. Ainsi le « début de l’égalité entre les sujets doit être pris avec beaucoup de précautions » note Edhem Eldem. De la fiscalité, à la monnaie, en passant par la promotion d’une nouvelle vision de la loi, jusqu’à l’organisation de l’instruction ou l’établissement de nouveaux journaux, c’est un bilan en demi-teinte qui semble se dessiner. La Sublime Porte tente d’emprunter une « nouvelle technologie militaire, fiscale, administrative aux Occidentaux pour contrôler l’empire de manière plus directe et mettre en route un appareil étatique plus performant, mais se heurte aux difficultés et aux réalités du terrain".
Pour l’heure, nous retrouvons l’Empire Ottoman « délesté jusqu’à un certain point de la pression russe et du risque égyptien », une Sublime Porte, « plus autonome, qui a plus de possibilités en terme de sa politique internationale » et qui célèbre en médailles l’ère des réformes. Le cours précédent s’est achevé sur la monumentale médaille des Tanzimat portant la date de 1850, mais émise en 1851 par un entrepreneur belge qui a proposé ses services pour promouvoir en français « un discours extrêmement positif » sur l’Empire ottoman.
Nous gagnons le Collège de France, le 31 janvier 2020, pour le cours d’Edhem Eldem, aujourd’hui « Modernité, progrès, civilisation » (partie 1)
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