Perdre et gagner ou la question de l’incertitude : épisode 17/12 du podcast Comment achever une œuvre ? Travail et processus de création

MC Hammer, rappeur, danseur, homme d'affaires, il a connu, gloire, banqueroute et renaissance, il prend la parole sur la scène des ADCOLOR Awards au Beverly Hilton Hotel le 21 sept. 2013, Californie.
MC Hammer, rappeur, danseur, homme d'affaires, il a connu, gloire, banqueroute et renaissance, il prend la parole sur la scène des ADCOLOR Awards au Beverly Hilton Hotel le 21 sept. 2013, Californie. ©Getty - Photo par Mike Windle / Getty Images pour AdColor - Getty
MC Hammer, rappeur, danseur, homme d'affaires, il a connu, gloire, banqueroute et renaissance, il prend la parole sur la scène des ADCOLOR Awards au Beverly Hilton Hotel le 21 sept. 2013, Californie. ©Getty - Photo par Mike Windle / Getty Images pour AdColor - Getty
MC Hammer, rappeur, danseur, homme d'affaires, il a connu, gloire, banqueroute et renaissance, il prend la parole sur la scène des ADCOLOR Awards au Beverly Hilton Hotel le 21 sept. 2013, Californie. ©Getty - Photo par Mike Windle / Getty Images pour AdColor - Getty
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Comment la faculté d’invention s’unit-elle au contrôle patient et permanent du cours de l’invention, dans le processus créatif? S’interroge le sociologue Pierre-Michel Menger. Dans quelle mesure la conception romantique du génie relève-t-elle d'un catalogue de symptômes maniaco-dépressifs?

Avec
  • Pierre-Michel Menger sociologue, titulaire de la chaire Sociologie du travail créateur au Collège de France

Pierre-Michel Menger revient sur les analyses du travail créateur par l'écrivain Paul Valéry qui constate :

"Le véritable artiste invente et s'impose des problèmes d'ordre supérieur, incompréhensibles à la plupart des gens".

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Comment la foi mystique dans la vocation créatrice, mais aussi l'image grandiose de soi, permettent-elles  de défier les traditions et l'autorité? Comment nourrissent-elles un solide esprit de compétition et donnent-elles aux créateurs le goût des entreprises démesurées? 

Directeur d'études à l'EHESS et professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de Sociologie du travail créateur, Pierre-Michel Menger poursuit, cette semaine sa grande enquête intitulée " Comment achever une œuvre? Travail et processus de création".

La semaine passée, s’appuyant sur la variété des approches artistiques et des parcours, de l’Antiquité à aujourd’hui, il s’est interrogé sur ce que nous pouvons savoir de l'activité professionnelle des artistes et du cheminement de leur activité créatrice - les artistes documentant beaucoup leur travail. Le sociologue a mis en valeur une « éthique du travail en régime d’originalité et de créativité ». 

Dès "Max Weber, la condition économique des artistes a été examinée,  comme l’association entre un comportement anti-économique, garant de l’exercice charismatique de l’activité créatrice et une solution économique, comme la pratique d’un métier de subsistance". Dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 2014, Pierre-Michel Menger soulignait que dans les professions liées au travail créateur, "les écarts de gains ou de notoriété peuvent atteindre des niveaux considérables, même entre deux professionnels dotés de la même formation et de la même quantité d’expérience professionnelle." 

"Les écrivains romantiques avaient inventé, soulignait-il encore, le « qui perd gagne » – une conception selon laquelle les gratifications psychiques sont provisoirement substituées aux revenus, et sont même les seules garantes possibles de lointains succès futurs puisque le désintéressement protègerait la créativité de la corruption. Mais le problème pratique de la rémunération immédiate du travail était dès lors écarté."

Comme Pierre-Michel Menger le note aujourd’hui :

« Les artistes ont su déceler dans la nature particulière de leur travail la liaison essentielle entre le caractère tâtonnant de l’activité créatrice et la valeur formatrice qu’elle recèle. »

Alors comment fonctionne l'apprentissage chez les artistes ? Quel est le caractère formateur et recherché des tâches non routinières dans le processus créatif? Quels rôles jouent les obstacles, les difficultés, voire les échecs dont les artistes peuvent tirer des leçons? Comment rester fidèle à soi-même et à son art, quand on devient, riche, célèbre et qu'on se déracine, comme certains écrivains ou rappeurs de sa première source inspiration?Nous gagnons l’amphithéâtre du Collège de France, le 15 mars 2019, pour le cours de Pierre-Michel Menger, « Comment achever une œuvre ? » Aujourd’hui « Perdre et gagner ou la question de l’incertitude »

Autour de l'image de Une et des incertitudes du travail créateur :

  • "Que sont-ils devenus : MC Hammer", par Sarah Dahan, Les Inrockuptibles, 13 janvier 2014,

"Le rappeur MC Hammer a été célèbre dès la fin des années 80 pour ses tubes addictifs autant que pour ses chorégraphies et ses tenues qui auraient dû en toute logique être interdites par la police du bon goût vestimentaire. Quelques soucis financiers et un léger manque d’inspiration l’avaient fait un peu oublier, mais il a su retrouver les lumières de la gloire grâce à celles de la foi…"

"Comment apprend-on à gérer cette incertitude" ? s'interroge aujourd'hui Pierre-Michel Menger. Il cite les travaux d'Hershman et Lieb qui "proposent un résumé assez efficace du dilemme du succès, quand il peut augmenter (augmenter la liberté d’action) mais aussi compromettre (paralyser) la créativité": 

« L'individu créateur est pris dans un cruel dilemme. Pour remplir sa fonction de créateur, son œuvre doit trouver une audience. Comme le faisait remarquer Picasso, "Le succès est une chose importante! On a souvent dit que l'artiste devait travailler pour lui-même, pour l'amour de l'art, et mépriser le succès. C'est une idée fausse. Un artiste a besoin du succès. Non seulement pour vivre, mais principalement pour réaliser son œuvre." Cependant, si ce succès dépasse un certain point, il détruit les véritables conditions essentielles à la continuation de ses efforts. Picasso, dans ses dernières années de vie, eut à se cacher du public. Il déclara alors "De tout - faim, extrême pauvreté, incompréhension du public - la gloire est le pire. C'est le châtiment de Dieu pour l'artiste ».

Pierre-Michel Menger rappelle :

"Succès et réputation peuvent être délectables (enjoyable) mais interfèrent avec la créativité de bien des manières. Perte de temps à satisfaire ses admirateurs, à gérer le succès. Pressions imposées par le succès : le besoin de succès plus grands à chaque œuvre. La peur d'échouer peut empêcher les gens de produire et rend tout effort créatif plus difficile.

L'arrivée au sommet du succès peut placer des obstacles sur le chemin de la créativité en privant les individus des matériaux dont ils ont besoin pour continuer à travailler. C'est le cas de beaucoup d'écrivains qui, ayant acquis une réputation, ont quitté le milieu social et l’entourage qui leur fournissaient de la matière pour leur travail (cf Morgan Jouvenet Rap Techno Electro et l’entretien de liens avec ses origines y compris pour rassurer les fans sur le maintien de son authenticité d’artiste qui s’est extrait de sa condition d’origine)."

  • A la relance, extrait de l'album " Lipopette Bar" d'Oxmo Puccino, The Jazzbastards - "Perdre et gagner" (Blue Note, 2006).

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Dans le cours précédent, Pierre-Michel Menger a rappelé :

"Les dimensions monétaires et non monétaires du travail sont analytiquement séparables, je l’ai souligné plus haut : la question de leurs relations (substitution ou complémentarité) est omniprésente puisque les actes de travail artistique sont considérés comme détenteurs d’une valeur élevée d’accomplissement mais comme ils sont aussi générateurs de considérables inégalités interindividuelles de réussite, il est impossible de supposer que dans les arts, gagner beaucoup, c’est avoir invariablement vendu son âme, ou, de soutenir, à l’inverse, que pratiquer le qui-perd-gagne comme une éthique personnelle serait une garantie d’inventivité. Le qui-perd-gagne__, qui est si bien analysé par Sartre dans son livre sur Flaubert, veut dire : si j’échoue à trouver un public, je gagne la preuve de mon indépendance, qui peut seule me garantir le succès à long terme, hors de la contingence d’un contexte particulier."

Pour prolonger :

  • La Leçon inaugurale de Pierre-Michel Menger a été publiée chez Fayard en 2014, sous le titre, La différence, la concurrence et la disproportion : sociologie du travail créateur. 
  • La même année a été éditée en poche en Points Seuil, son ouvrage, Le travail créateur : s'accomplir dans l’incertain. 
  • Et plus récemment, il a dirigé l’ouvrage collectif « Le talent en débat », aux Puf en 2018.