Plier, déplier : mémoires au présent par Laurent Mauvignier : épisode • 5/10 du podcast Séminaire De la littérature comme sport de combat (suite) -

Photo de la couverture du roman "Des Hommes" de Laurent Mauvignier
Photo de la couverture du roman "Des Hommes" de Laurent Mauvignier - D.R. / Les Editions de Minuit
Photo de la couverture du roman "Des Hommes" de Laurent Mauvignier - D.R. / Les Editions de Minuit
Photo de la couverture du roman "Des Hommes" de Laurent Mauvignier - D.R. / Les Editions de Minuit
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Quelle est la question que pose le passé au présent ? demande l’écrivain Laurent Mauvignier. Pourquoi avoir écrit sur la guerre d’Algérie, lui demande Antoine Compagnon, quand on est né en 1967, après les « événements », après cette guerre, qui, longtemps, n’a pas eu le nom de guerre?

Avec

"À partir de quel endroit en parler"? s’interroge encore l’écrivain. Quel rôle ont joué les photos exposées dans les maisons de sa famille, des voisins pour écrire le roman intitulé Des Hommes

Antoine Compagnon, titulaire de la chaire « Littérature française moderne et contemporaine: Histoire, critique et théorie » au Collège de France nous invite à rencontrer, dans le cadre de son séminaire, lié à sa série « De la littérature comme sport de combat » , des écrivains et des journalistes à la croisée du récit de vie et de l’Histoire. Quels sont les rapports entre un réel complexe et la narration littéraire ou journalistique? demande-t-il. 

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Aujourd’hui, Antoine Compagnon reçoit l’écrivain Laurent Mauvignier, autour de son roman Des Hommes, publié aux Éditions de Minuit. Avec ce récit qui part du présent des années 2000 pour aborder la guerre d’Algérie, Laurent Mauvignier explique : 

« l’intérêt pour moi, c’était retrouver l’ignorance du présent.»

Le livre s'ouvre par une fête d'anniversaire où nous découvrons Feu-de-bois qui a été Bernard, l'un de ces hommes partis en Algérie :

"Il était plus d’une heure moins le quart de l’après-midi, et il a été surpris que tous les regards ne lui tombent pas dessus, qu’on ne montre pas d’étonnement parce que lui aussi avait fait des efforts, qu’il portait une veste et un pantalon assortis, une chemise blanche et l’une de ces cravates en Skaï comme il s’en faisait il y a vingt ans et qu’on trouve encore dans les solderies.                          
Aujourd’hui, on dira qu’il ne sentait pas trop mauvais. On n’ironisera pas sur le fait qu’il viendra manger à l’œil et que pour une fois il n’aura pas à faire semblant d’arriver à l’improviste. On l’appellera Feu-de-Bois comme depuis des années, et certains se souviendront qu’il a un vrai prénom sous la crasse et l’odeur de vin, sous la négligence de ses soixante-trois ans.                          
On se souviendra que derrière Feu-de-Bois on pourrait retrouver Bernard. On entendra sa sœur l’appeler par son prénom, Bernard. On se rappellera qu’il n’a pas toujours été ce type qui vit aux crochets des autres. On l’observera en douce, pour ne pas éveiller sa méfiance". 

Laurent Mauvignier interroge le silence et les photos des anciens appelés d’Algérie. Rabut, le narrateur sexagénaire de son récit Des Hommes parle des 

"Beaux paysages de vacances pour garder un coin de soleil dans sa tête, mais la guerre, non, pas de guerre". 

Cependant Rabut pleure dans la nuit "marqué à vie par des images tellement atroces qu'on ne sait pas se les dire à soi-même".  

Le critique, Baptiste Liger, note dans L'Express :

"Comme dans son précédent roman (Dans la foule, évocation du drame du Heysel), Laurent Mauvignier s'intéresse à des individus réunis par l'horreur de l'Histoire. Mais jamais il n'abandonne les singularités de ses personnages au profit d'une thèse, laissant parler son écriture intimiste, qui contraste judicieusement avec l'ambition de son sujet".

Après les attentants du 13 novembre 2015 et leurs répercussions sur nous, Laurent Mauvignier a proposé un texte de réflexion publié dans le journal Le Monde:

« la littérature, écrit-il doit prendre le temps de mesurer l’impact de ce que notre vie subit. Elle ne doit pas se laisser corrompre – comme l’acidité corrompt – par l’émotion et la sidération. L’écrivain doit prendre le temps de la mise en perspective, et, dans le cas des romanciers, prendre le temps d’interroger la violence par le prisme de sa pratique, qui n’est ni celle de la philosophie, ni celle de la sociologie, de la psychologie, etc., mais qui pourtant les enveloppe et les concentre dans ces expériences simulées qu’on appelle fictions.

« La question que je me pose depuis longtemps et que ce 13 novembre incarne, hélas, parfaitement, c’est comment un livre peut porter ce morcellement des vies multiples prises dans le faisceau d’une histoire dont chacun pouvait penser qu’elle n’était pas la sienne. Je me dis que la vie, ce n’est pas un personnage principal avec des personnages secondaires, c’est un personnage principal plus un personnage principal plus etc. »

Et nous gagnons tout de suite l’amphithéâtre du Collège de France, le 6 février 2018 pour le séminaire d’Antoine Compagnon, aujourd’hui : « Plier, déplier : mémoires au présent avec Laurent Mauvignier. »
 

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- Editions de Minuit

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