Quel est le rôle des musées dans la présence, en Europe, de l’Afrique, de ses objets et de son art, pris dans un sens large ? s’interroge l’historienne de l’art, Bénédicte Savoy. Comment penser l’absence, en Afrique, des objets éparpillés dans les grandes métropoles du monde ?
- Bénédicte Savoy Professeure d’histoire de l’art à l’Université Technique de Berlin, titulaire d’une chaire consacrée à l’« Histoire de l’art comme histoire culturelle »
Bénédicte Savoy, titulaire de la chaire internationale " Histoire culturelle des patrimoines artistiques en Europe", XVIIIe-XXe siècle » au Collège de France, se partage entre Paris et Berlin, où elle dirige le département d’histoire de l’art de la Technische Universität. Saison après saison, elle nous entraîne depuis sa première série de cours intitulée, "A qui appartient la beauté, Arts et cultures du monde dans nos musées", dans une vaste et complexe enquête autour de la constitution du patrimoine européen. Comme Bénédicte Savoy le notait dès sa leçon inaugurale, les biens culturels, qui sont des "objets du désir", "peuvent être ôtés de leur lieu de création en toute légalité ou bien spoliés, sinon volés en période de guerre".
En 2020, pour sa quatrième saison, l’historienne s’est demandée, dans le cadre de sa série intitulée, « Présence africaine dans les musées d’Europe », comment l’Afrique sub-saharienne, en tant qu’aire géographique est visible dans nos musées européens. De quelle manière les collections africaines se sont formées dans les musées européens, de Londres, de Paris, de Berlin, de Bruxelles, de Genève, de Stockholm ou encore de Lyon ? Quels ont été les acteurs impliqués dans le déplacement, la translocation des objets culturels africains, notamment à la fin du XIXe siècle, alors que les rivalités entre les puissances européennes sont exacerbées et que se développent de vastes empires coloniaux ? Comment les objets africains, arrivés en masse au tournant du XIXe-XXe siècle ont-ils transformés, les acteurs des avants-gardes, un Picasso à Paris, un Emil Nolde à Dresde ?
Picasso, comme l'architecte Le Corbusier ont été marqués par le musée du Trocadero. Bénédicte Savoy rappelle la passion du jeune Le Corbusier, alors en formation, pour le musée ethnographique poussiéreux :
"C'est un péché mignon qui me tient depuis l'enfance et j'ai passé les plus beaux instants de ma vie à la visite des musées d'une grande partie du monde. Vous savez, vous avez vu mes dessins qu'en 1908, déjà, étant complètement étranger au monde des artistes, j'avais déjà dessinés au Musée ethnographique du Trocadéro et plusieurs pièces que vous avez exhumées dans la suite du fatras où elles se trouvaient. J'ignorais parfaitement qu'il y a une question nègre ou précolombienne à cette époque, mais j'avais découvert le musée ethnographique et mon enthousiasme était complet".
Si l’histoire de la réception des oeuvres est bien connue, comment s’exprime le sentiment de l’absence des objets ? Bénédicte Savoy cite notamment le très beau poème de Niyi Osundare, qui cherche et cherche encore la "mémoire de l’Afrique":
« Je cherche Dincowawa, trône d’Ashanti, demande le poète Niyi Osundare
- “Il est à Paris, répond la Lune”.
“Je cherche Togongorewa, du Zimbabwe, demande encore le poète”.
_“Il est à New-York", lui répond la lune. ("_Africa’s Memory", 1998)
A l’opposé des œuvres acquises légalement, se pose la question des objets extraits sans le consentement des populations ou qui ont été appropriés de manière violentes. Cette série s’inscrit également dans les vastes débats actuels partout en Europe sur la question de la restitution des œuvres spoliées.
Bénédicte Savoy a été nommée experte culturelle pour la restitution du patrimoine africain, le 5 mars 2018 par le président de la République, aux côtés de l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr. Le journal Le Monde rappelait en octobre 2020, que « leur travail a permis de recenser la présence de plus de 90 000 objets provenant d’Afrique subsaharienne dans les collections publiques françaises. ». A l’Automne 2020, un "premier et modeste pas a été franchi par la France", "quand les députés ont voté la restitution de plusieurs objets au Bénin et au Sénégal". Une nouvelle fois, l’historienne nous fait entrer dans une histoire complexe et sensible.
Nous gagnons le Collège de France, le 14 février 2020, pour le cours de Bénédicte Savoy, aujourd’hui, « Introduction ».
Pour prolonger :
Le générique de fin de la série scelle la rencontre de Bach et du morceau "Sankanda", extrait de l'album "Lambarena - Bach to Africa" d'Hugues de Courson.
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