Comment renouveler notre regard sur la mondialisation, alors que les crises s’accumulent & que nos démocraties s’avèrent si fragiles? s’interroge la juriste Mireille Delmas-Marty. Quelle place pour un humanisme juridique au sein de la gouvernance mondiale? Quelle serait notre boussole des possibles?
- Mireille Delmas-Marty Juriste, professeure honoraire au Collège de France
Professeure émérite au Collège de France et membre de l'Académie des sciences morales et politiques, Mireille Delmas-Marty a été titulaire de la chaire Études juridiques comparatives et internationalisation du droit de 2002 à 2011. Elle vient de publier sa leçon de clôture au Collège de France, sous le titre Une boussole des possibles. Gouvernance mondiales et humanismes juridiques. Cette leçon dite "de clôture", donnée en 2011 au Collège de France, doit être entendue “non pas comme la fin d’un enseignement, mais comme le commencement d’une époque qui appelle à renouveler notre regard sur la mondialisation”, souligne la juriste.
Pour Mireille Delmas-Marty,
"La créativité » est la « source vive de nos humanités ». « C’est le seul principe, dit-elle, qui fonde notre responsabilité et peut à la fois satisfaire la raison et échapper aux automatismes de nos pulsions. Le seul peut-être qui puisse répondre à la terreur comme à la fureur, à la misère comme à la colère".
Face à la polycrise du XXIe siècle et aux enjeux d'une souveraineté solidaire : le droit comme boussole commune
Dans la tribune intitulée, "Les nouvelles routes de la mondialisation" (Le Monde, 11 janvier 2019), la juriste a proposé, "face à un monde instable et fragmenté", de "bâtir une souveraineté solidaire, un tout-monde à la fois ouvert aux diversités et attentif aux interdépendances".
"En 1948, écrit-elle, la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui se proposait de protéger les êtres humains de la terreur et de la misère, avait vocation à devenir notre boussole. Soixante-dix ans plus tard, nous voilà déboussolés : terreur rime avec fureur, misère avec colère. Tout discours de raison semble inaudible face à l’émotion et aux pulsions qu’elle provoque. Il serait pourtant urgent de comprendre que la démocratie, les droits de l’homme et l’Etat de droit sont fragiles, alors que la mondialisation est sans doute irréversible. Face aux défis qui se dressent devant nous – crises sociales, terrorisme global, crises sanitaires, déséquilibre écologique, dérèglement climatique, désastre humanitaire des migrations… –, il y a un point commun : les interdépendances sont devenues si fortes qu’aucun Etat ne peut y répondre seul de façon efficace. Mais comment renoncer aux Etats sans sombrer dans le chaos ? La mondialisation n’est pas une totalité agrégée une fois pour toutes, mais un ensemble de processus qui mêlent espace et temps.’’
Dans une tribune donnée au Monde, le 20 mars 2020, sous le titre "Profitons de la pandémie pour faire la paix avec la Terre", Mireille Delmas-Marty indique à propos de la crise sanitaire du « coronavirus » :
Il serait temps de les prendre au sérieux, à mesure que s’accélère la cacophonie née de cette polycrise.
Ce virus, poursuit la juriste, "ce minuscule être vivant (...) offre à l’humanité une dernière chance pour prendre conscience de sa communauté de destin et se convaincre qu’embarqués sur le même bateau, nous avons besoin d’une boussole commune. Ce devrait être le rôle du droit".
A propos de cette boussole, Mireille Delmas-Marty file la métaphore :
"Si l’on joue le jeu de l’analogie entre vents du monde et vents de l’esprit, cette boussole singulière montre que l’effondrement n’est pas inéluctable, et qu’il est encore possible d’orienter nos sociétés vers une gouvernance qui les stabilise sans les immobiliser, et les pacifie sans les uniformiser."
Résister, responsabiliser, anticiper
Dans l’édition de sa leçon de clôture, Une boussole des possibles. _Gouvernance mondiales et humanismes juridiques,_Mireille Delmas-Marty indique en ouverture :
"En relisant le texte de ma leçon de clôture, on constate que le décor était déjà planté en 2011. Les trois verbes qui structurent le propos – résister à la déshumanisation, responsabiliser les acteurs globaux et anticiper les risques à venir – sont plus que jamais prioritaires dans nos sociétés où la mondialisation s’accélère."
Alors que la juriste a ouvert sa leçon de clôture sur les faiblesses et les contradictions de l’humanisme juridique, Mireille Delmas-Marty notait en 2011, à propos de son enseignement au Collège de France :
"Cet enseignement, axé sur l’« internationalisation du droit », a commencé le lendemain des frappes aériennes lancées par George W. Bush en Irak et s’est achevé une semaine après l’exécution de Ben Laden. Il a pris la couleur tragique d’un humanisme juridique déchiré, d’un mythe qui craque de toute part. Ayant placé mon cours sous le signe d’Astrée, qui symbolisait pour les humanistes, dans cette période troublée que fut la Renaissance en Europe, l’espoir d’un retour à la justice et à la paix, ce n’est pas un hasard si j’ai consacré la dernière année de mon cours au thème « Sens et non-sens de l’humanisme juridique ». Au moment même où l’humanisme juridique commence à devenir une réalité, au moins par fragments, avec l’expansion des droits de l’homme, l’apparition d’un droit humanitaire et l’émergence d’une justice pénale à vocation universelle, ses faiblesses et ses contradictions éclatent en plein jour."
Pour gouverner un monde instable et fragmenté sans Etat mondial, quelles pistes s’offrent à nous ? Comment résister à la déshumanisation ? demande la juriste. De quelle manière responsabiliser les acteurs globaux ? Comment le droit en devenir peut-il anticiper les risques à venir et comment canaliser la culture de la peur dangereuse pour les démocraties ?
Nous gagnons le Collège de France le 11 mai 2011 pour la leçon de clôture de Mireille Delmas-Marty.
Pour prolonger :
Mireille Delmas-Marty, invitée d'honneur, de Citéphilo 2020 et Citéphilo dans "Les Chemins de la connaissance sur France Culture
Chaque année depuis 24 ans, Citéphilo propose un temps de réflexion philosophique dans une vingtaine de villes des Hauts-de-France. Chaque mois de novembre est organisée une centaine de tables rondes et rencontres en présence d’auteurs philosophes, sociologues, historiens, économistes, géographes… et des visites autour d’œuvres artistiques.
Mireille Delmas-Marty est l' invitée d'honneur de Citéphilo 2020.
"Juriste, spécialiste de droit pénal et de droit international, Mireille Delmas Marty a développé dans son enseignement (à l'Université de Lille puis à la Sorbonne et enfin au Collège de France) une réflexion sur le droit inspirée notamment par Montesquieu, dans une dimension comparative. Elle a défendu l’idée d’une justice internationale et contribué directement à la création du tribunal pénal international, destiné à juger les crimes contre l’humanité. Elle soutient l’idée d’une communauté des droits malgré la montée des nationalismes et la “complexité des droits". Face à un monde dangereux où les États restreignent les libertés au nom de la sécurité, elle affirme la communauté de nos destins menacée par les sociétés de la peur."
"Pour Mireille Delmas-Marty, nous vivons dans une société désenchantée, à bout de souffle. Dans Aux quatre vents du monde, elle propose de retrouver du souffle et du rêve, de transformer les interdépendances subies en projet commun, en mobilisant les forces imaginantes du droit contre les écueils qui nous menacent : terrorisme, dérèglement climatique, migrations déshumanisantes, crises financières et sociales. S’il y a une pensée du droit, c’est une pensée du bricolage, qui agence et reconstruit le neuf avec de l’ancien, une pensée dynamique qui se cherche et se reconstruit en permanence, une pensée qui dure et grandit dans et avec l'imprévisible."
Du fait des mesures sanitaires, Citéphilo a dû s'adapter. Des textes autour de la juriste seront publiés, tandis que certaines séances feront l'objet d'une vidéo diffusée sur le site de Citéphilo, sur la chaîne Youtube de Citéphilo et sur Facebook, ainsi la leçon inaugurale de Pierre Delion ou la leçon de clôture de Bruno Latour. Leur diffusion sera annoncée sur la page d'accueil du site de Citéphilo et resteront ensuite accessibles.
Parmi les derniers ouvrages de Mireille Delmas-Marty :
- Une boussole des possibles : gouvernance mondiale et humanismes juridiques, Éditions du Collège de France, 2020.
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- Sortir du pot au noir : L’humanisme juridique comme boussole, Buchet Chastel, 2019
- _Aux quatre vents du monde__. Petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation_, Seuil, 2016
- Cahiers éphémères et irréguliers pour saisir ce qui nous arrive et imaginer les mondes N° 2, septembre 2020 - Comment faire ? avec les contributions de Mireille Delmas-Marty, Adrien Bosc, Julie Clarini, Hugues Jallon, Séverine Nikel
Pour rappel :
Leçon inaugurale au Collège de France: études juridiques comparatives et internationalisation du droit, Fayard, 2003
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