Entretien avec l'historien Vincent Lemire.
- Vincent Lemire Historien, géographe, directeur du Centre de recherche français à Jérusalem
Après les affrontements de ce week-end, qui ont d’abord fait plus de 200 blessés vendredi soir sur l’esplanade des mosquées dans la vieille ville, une centaine samedi soir à Jérusalem-Est dans de nouvelles violences entre la police et des Palestiniens, qui protestaient entre autres (c’est le cas dans le quartier de Cheikh Jarrah) contre l’expulsion de familles palestiniennes… Et pendant que dans le sud d’Israël des ballons incendiaires venus de Gaza causaient une quarantaine d’incendies… On ouvre aujourd’hui une semaine délicate avec des points de tension possibles à peu près tous les deux jours.
C’est aujourd’hui la Journée de Jérusalem, ou Jour du drapeau : des milliers d’Israéliens juifs vont défiler pour dire que Jérusalem est leur capitale, comme ils le font chaque année. Mercredi est le jour de l’aïd. Et samedi, c'est la commémoration par les Palestiniens de la Nakba, l'exode de milliers d'arabes en 1948.
Pour expliquer ces tensions, il faut convoquer des éléments géographiques, politiques, historiques et… démographiques.
Jérusalem a été mis en-dehors, volontairement, de la table de négociations d'Oslo en 1993. Le centre de gravité de la mobilisation politique palestinienne, c'était Ramallah, puis ensuite Gaza, qui a culminé avec la guerre d'août 2014. Et depuis, depuis 2015-2016, on a un retour de Jérusalem sur la scène de mobilisation palestinienne, de plus en plus régulier. La crise des portiques en juillet 2017 s'était également tramée autour de l'esplanade des Mosquées, avec déjà à l'époque une victoire de la jeunesse palestinienne dans les rues de Jérusalem. Donc, effectivement, oui, Jérusalem fait retour au cœur de la scène de mobilisation palestinienne. Ce n'était pas forcément attendu, mais ça devient, ça devient très évident. Vincent Lemire
On parle toujours des aspects géopolitiques, des relations internationales, des enjeux religieux. La démographie me semble être un marqueur fondamental, ne serait-ce que parce que c'est une bataille qui se joue à l'intérieur de toutes les familles. C'est une bataille des mères palestiniennes, et israéliennes aussi puisque cette bataille démographique est engagée des deux côtés. Pour ce qui est de Jérusalem, il faut savoir qu'en 1967, juste après la guerre des Six Jours, 25% de la population de Jérusalem était palestinienne. Aujourd'hui, cette proportion est de 40%. Clairement, la résistance démographique palestinienne à Jérusalem a été extrêmement forte. C'est quelque chose qui est insupportable pour l'extrême-droite nationaliste israélienne parce que, d'une certaine manière, Jérusalem, c'est le choc du réel. La droite nationaliste cogne sur le réel quand elle arrive porte de Damas ou dans la vieille ville, parce qu'il y a 300 000 Palestiniens dans Jérusalem. Vincent Lemire
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