Ethiopie : pourquoi le Prix Nobel de la Paix a-t-il déclaré la guerre ?

Dans l'Ethiopie du premier ministre Abiy Ahmed Prix Nobel de la paix 2019, l’armée et les forces de sécurité régionales sont accusées d'avoir violé des droits fondamentaux dans deux régions.
Dans l'Ethiopie du premier ministre Abiy Ahmed Prix Nobel de la paix 2019, l’armée et les forces de sécurité régionales sont accusées d'avoir violé des droits fondamentaux dans deux régions.   ©AFP - ETHIOPIAN PUBLIC BROADCASTER (EBC)
Dans l'Ethiopie du premier ministre Abiy Ahmed Prix Nobel de la paix 2019, l’armée et les forces de sécurité régionales sont accusées d'avoir violé des droits fondamentaux dans deux régions. ©AFP - ETHIOPIAN PUBLIC BROADCASTER (EBC)
Dans l'Ethiopie du premier ministre Abiy Ahmed Prix Nobel de la paix 2019, l’armée et les forces de sécurité régionales sont accusées d'avoir violé des droits fondamentaux dans deux régions. ©AFP - ETHIOPIAN PUBLIC BROADCASTER (EBC)
Publicité

Un conflit entre le pouvoir central éthiopien et l'Etat du Tigré a éclaté cette semaine. Le Front de libération du peuple du Tigré voudrait reprendre la main sur le pouvoir central, qu'il avait perdu en 2018. Entretien avec le chercheur Eloi Ficquet.

Avec
  • Éloi Ficquet anthropologue et historien, maître de conférences à l'EHESS

Le jour même de l’élection présidentielle aux Etats-Unis, comme s’il savait que la « communauté internationale » serait accaparée par le décompte des voix aux Etats-Unis, le premier ministre éthiopien a lancé une offensive militaire dans la région de Tigré, à l’extrême-nord du pays, à la frontière avec l’Erythrée.

C’est pourtant à lui, Abiy Ahmed, que cette même communauté internationale avait remis l’année dernière le Prix Nobel de la Paix, pour avoir réconcilié l’Ethiopie avec l’Erythrée.

Publicité

Du point de vue du gouvernement fédéral, cette offensive est une opération de rétablissement de l'autorité, dans une région déclarée dissidente et qui aurait voulu s'emparer de garnisons de l'armée fédérale. Du point de vue de la région concernée, le Tigré au nord du pays, le gouvernement fédéral d'Abiy Ahmed est illégitime depuis que les élections générales qui auraient dû se tenir en mai 2020 ont été repoussées en août, puis à nouveau reportées sine die pour des raisons d'épidémie de Covid et de déséquilibre de la scène politique intérieure. En fait, le Front de libération tigréen, qui tient la région du Tigré, a tenu début septembre ses propres élections générales. Cela a créé un déséquilibre de politique intérieure entre une région qui a suivi le calendrier électoral original, et le reste du pays. Et donc, le gouvernement a été déclaré par le Tigré comme inconstitutionnel.     Eloi Ficquet

Maintenant, le rapport de force sur le terrain militaire. Le Tigré apparaît comme une minorité d'un point de vue démographique : il représente 6% de la population sur plus de 100 millions d'Ethiopiens - donc peu par rapport aux autres grandes populations éthiopiennes, les Oromos et Amharas qui sont chacun 30 millions environ. Le rapport de force peut donc apparaître comme déséquilibré. Mais le Tigré est une région de tradition militaire et rebelle très forte. C'est aussi dans cette région qu'étaient stationnées de nombreuses garnisons aux frontières de l'Érythrée. Et tout l'enjeu est dans le contrôle de ces divisions: lesquelles vont rester loyales au Tigré, parce que dirigées par des officiers Tigréens ? Lesquelles seront loyales au gouvernement fédéral ?    Eloi Ficquet

Le parti tigréen a été l'architecte de la Constitution fédérale, et se considère comme le gardien du temple de cette Constitution. Il milite pour un fédéralisme au sens strict avec une forte autonomie de chaque région. (...) Aujourd'hui, il est reproché à Abiy Ahmed de vouloir tenir une unité nationale de façon très centralisée. C'est ce qui se joue aujourd'hui. On ne peut pas encore parler d'explosion ou de séparation de chaque région. Mais c'est vrai que ce conflit assez nouveau va poser la question du rééquilibrage des rapports de force... Jusqu'à quel point certaines régions voudront s'autonomiser du jeu national ?     Eloi Ficquet