Japon et Corée du Sud. Accord "historique" au sujet des « femmes de réconfort » : qui est vraiment d'accord ?

Manifestation des associations de réhabilitation des "femmes de réconfort", ces femmes prostituées de force dans des bordels réservés aux soldats américains au Japon et en Corée après la fin de la Seconde Guerre mondiale
Manifestation des associations de réhabilitation des "femmes de réconfort", ces femmes prostituées de force dans des bordels réservés aux soldats américains au Japon et en Corée après la fin de la Seconde Guerre mondiale ©Getty - By Bill Clark/CQ Roll Call
Manifestation des associations de réhabilitation des "femmes de réconfort", ces femmes prostituées de force dans des bordels réservés aux soldats américains au Japon et en Corée après la fin de la Seconde Guerre mondiale ©Getty - By Bill Clark/CQ Roll Call
Manifestation des associations de réhabilitation des "femmes de réconfort", ces femmes prostituées de force dans des bordels réservés aux soldats américains au Japon et en Corée après la fin de la Seconde Guerre mondiale ©Getty - By Bill Clark/CQ Roll Call
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70 ans après la fin de la guerre, la Corée du Sud et le Japon ont conclu lundi dernier un accord inédit qui réglerait enfin la question des « femmes de réconfort », ces femmes pour la plupart enlevées, parquées et prostituées par et pour l’armée japonaise pendant la Seconde guerre mondiale.

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70 ans après la fin de la guerre, la Corée du Sud et le Japon ont conclu lundi dernier un accord inédit. Les déclarations de satisfaction ne manquent pas : le geste a été salué par l’ONU, qualifié « d’historique » par la presse, « définitif et irréversible » par les Ministres des Affaires Etrangères des deux pays qui l’ont signé à Séoul. L’accord réglerait enfin la question des « femmes de réconfort », ces femmes pour la plupart enlevées, parquées et prostituées par et pour l’armée japonaise pendant la Seconde guerre mondiale.  Le système, assez bien connu depuis les années 1990, aurait concerné environ 200 000 femmes à l’époque. 46 seulement sont encore en vie en Corée du Sud.

Cet accord qui prévoit des excuses officielles du Japon et le versement d’une compensation d’environ 7 500 000 euros, constitue une avancée diplomatique après des années de refroidissement entre les deux pays.

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C’est une surprise avec les apparences d’un aboutissement historique sans doute puisqu’il intervient aussi l’année des soixante ans de l’établissement des relations bilatérales entre Corée du Sud et Japon ; et beaucoup y voient la poursuite d’une « normalisation ».

Faut-il pour autant considérer cette réconciliation verbale comme un véritable signe d’apaisement et de règlement des différents ? Cette décision intervient aussi dans un contexte géopolitique plus tendu cette année :

1) D'une part au sujet du contrôle des îles et des mers locales, entre Chine, Japon, Corées, Philippines, etc… La Corée et le Japon renforcent tous les deux leur coopération militaires avec les USA mais s’opposent toujours quant à leur souveraineté sur quelques îles.

2) D'autre part avec une crainte de déclassement relatif de la Chine en difficulté économique, et exclue – comme la Corée du Sud – du traité commercial transpacifique conclu avec les Etats-Unis en octobre dernier.

Dans ce contexte, beaucoup de questions se posent aujourd'hui quant à la valeur réelle de ce « rapprochement ». Les obstacles diplomatiques s'effacent peut-être mis les survivantes coréennes de la guerre ont quant à elles presqu'aussitôt manifesté leur mécontentement et leur désarroi.

South Korean "comfort woman" Lee Ok-sun speaks as the others react during a news conference at the "House of Sharing," a special
South Korean "comfort woman" Lee Ok-sun speaks as the others react during a news conference at the "House of Sharing," a special
© Reuters

Femmes de réconfort (慰安婦, Ian-fu ) est l'euphémisme employé par le gouvernement japonais à propos des victimes, souvent mineures, du système d'esclavage sexuel de masse organisé à travers l'Asie par l'armée et la marine impériales japonaises. L'emploi de ce terme est fortement contesté par les organisations humanitaires qui exigaient du gouvernement japonais des excuses formelles et des réparations, et préfèraient le terme non édulcoré d'esclavage sexuel.

Aujourd'hui, après 50 ans de combat auprès de leur gouvernement, elles se sentent trahies : les 46 survivantes, qui ont été des esclaves sexuelles pour les soldats japonais en Corée entre 1930 et 1945, n’approuvent pas le compromis passé entre leur présidente et le premier ministre japonais Shinzo Abe.

«Avoir été victimes de viols sauvages et systématiques, de crimes contre l’humanité, vaut plus de compensations que cela», commente un professeur de droit coréen.

La presse de Séoul regrette aussi que l’accord ne contienne pas de reconnaissance officielle de la responsabilité du Japon. Au parlement de Séoul, enfin, des élus d’opposition demandent à la présidente de présenter des excuses, la dépeignant comme une «collabo projaponaise», et rappelant que son père, l’ex-dictateur à la tête de la Corée du Sud, a servi comme officier dans l’armée impériale japonaise.

Malgré ces déclarations fracassantes, l’administration d’Obama n’a pas tardé à faire part de sa position officielle, totalement favorable, à l’égard du traité conclu entre ses deux principaux alliés asiatiques. Pour la Maison blanche, les différends historiques entre les deux Etats étaient un vrai casse-tête, qui mettait structurellement à mal sa stratégie de rééquilibrage en Asie-Pacifique. Les Etats-Unis doit, en même temps, faire face à la montée en puissance de la Chine, sans négliger non plus les continuelles provocations nord-coréennes. Il faisait donc pression sur ses deux alliés, tout en insistant sur l’importance de la coopération de leurs trois nations pour la sécurité régionale.

Taïwan a, pour sa part, immédiatement réagi à l’annonce de l’accord nippo-coréen en souhaitant recevoir également des excuses. Des démarches diplomatiques en ce sens ont aussitôt été entamées* : “Le Japon offre excuses et compensations à la Corée du Sud. Et Taïwan alors* ?”  titre ainsi le quotidien taïwainais Chungkuo Shihpao.

par Xavier Martinet