Des mines de charbon à l'industrie automobile, Decazeville dans l'Aveyron perpétue une longue histoire industrielle malgré et envers les vents contraires qui soufflent sur ses secteurs porteurs.
- Régis Guillaume Géographe, professeur à l’Université Toulouse Jean-Jaurès
Le tribunal de commerce de Toulouse a sonné le glas de la Société Aveyronnaise de Métallurgie (SAM) vendredi dernier en ordonnant sa liquidation d'ici le 10 décembre, faute de commandes suffisantes de son principal client, Renault. Comment expliquer la perte de ce fleuron industriel sur un territoire autrefois connu pour ses mines de charbon ?
Après les mines et l'industrie automobile, quel avenir industriel pour l'Aveyron ? Les Enjeux se rendent dans le sud-ouest avec Régis Guillaume, géographe et professeur à l’Université de Toulouse Jean-Jaurès.
L'Aveyron perd un fleuron industriel
À Decazeville dans l'Aveyron, la SAM irriguait jusqu'il y a peu toute l'économie locale, étant le premier employeur de cette ville.
Les drames que vont vivre ces personnes-là vont avoir des conséquences extrêmement fortes sur la ville. D'une part, 350 emplois menacés, ce sont 350 emplois induits qui vont disparaître aussi, avec des conséquences, on peut s'en douter, sur le commerce et les services publics. Mais il y aussi d'autres emplois qui vont disparaître parce que les entreprises qui étaient présentes à Decazeville faisaient travailler toute une série de sous-traitants pour fonctionner normalement. Régis Guillaume
Dans le nord de l'Aveyron, à proximité du Lot et de la Corrèze, la 'mécanique valley' rassemblait malgré sa ruralité une activité florissante, souvent liée à des groupes industriels mondialisés :
C'est en fait un environnement assez rural, loin des grands centres urbains, mais qui se caractérisent par la présence de plusieurs foyers industriels relativement dynamiques dans des secteurs d'activité comme ceux de l'automobile, mais également ceux de l'aéronautique à travers l'entreprise Ratier Figeac à Figeac. L'automobile est également présent à Rodez, l'aéronautique à Villefranche-de-Rouergue, dans un environnement rural où le capital est très largement internationalisé. Régis Guillaume
Si la fermeture de la SAM semble trahir un manque d'attractivité, elle occulte la capacité d'adaptation de la région aux bouleversements qui ont touché les secteurs de l'automobile et de l'aéronautique. La SAM a régulièrement changé de main durant son histoire :
L'histoire de la SAM s'inscrit dans une temporalité d'une cinquantaine d'années. Au départ, cette entreprise est liée à l'externalisation d'un atelier de l'usine de l'entreprise Vieille-Montagne, qui produit du zinc et, au fur et à mesure de son histoire, va être rachetée par du capital familial pour être progressivement intégrée dans le groupe Valeo à partir de 1973 et va véritablement se dédier au secteur automobile à partir de cette date-là. Elle va être rachetée en 2004 par une holding familiale, le groupe Arche, avant d'être intégrée en 2017 dans le grand giron du groupe chinois Xinjiang Industries. Régis Guillaume
La SAM souffrait en fait du changement de l'industrie automobile :
La difficulté pour l'entreprise SAM réside en partie dans le fait qu'elle n'a qu'un seul client potentiel, le groupe Renault, et qu'elle travaille quasi-exclusivement pour le secteur automobile, ce qui la fragilise eu égard aux évolutions de ce secteur, c'est-à-dire l'affaiblissement des commandes de moteurs diesel et les mutations fortes du moteur thermique vers les moteurs électriques qui vont nécessiter moins de carter. Régis Guillaume
La mobilisation ouvrière, une vieille histoire dans l'Aveyron
Les ouvriers de l'usine SAM mobilisés contre la fermeture de leur entreprise ne sont pas les premiers à élever la voix contre la désindustrialisation. En 1961, la fermeture des mines de charbon avait généré une grève de 66 jours sous le mot d'ordre du "droit de vivre et travailler au pays."
Vous évoquez la lutte et la solidarité ouvrière; je préférerais parler de lutte et de solidarité territoriale parce que c'est véritablement un décloisonnement des logiques de classes. Il y a véritablement un dépassement des intérêts individuels au profit d'une démarche collective. Derrière ce syndrome decazevillois évoqué par les hautes sphères parisiennes, il y a tout un ensemble, qui lui est l'expression du local revendiquant une identité, une volonté de se développer, une volonté de vivre et travailler au pays. Régis Guillaume
Si des projets comme le développement du retraitement de batteries témoignent de la résilience du territoire, les tendances démographiques risquent encore de le fragiliser :
Ce qu'il faut bien considérer, c'est qu'il y a plusieurs temporalités. Il y a la temporalité économique avec les crises et les drames individuels qui ne manquent pas de se succéder et dont les impacts sont forts au niveau de l'activité économique. Mais il y a aussi sur des temporalités beaucoup plus longues, des trajectoires liées à des phénomènes démographiques où, peu à peu, la population diminue. Il faut bien considérer qu'actuellement, l'économie résidentielle qui est liée au nombre d'habitants est un élément important de la dynamique de ces territoires. (..) Mais il n'en reste pas moins que l'évolution au niveau démographique exposera à l'avenir ce territoire à des fragilités. Régis Guillaume
L'équipe
- Production
- Production déléguée
- Collaboration
- Collaboration
- Réalisation