Dimanche dernier, plus d'un quart des électeurs ont séché le premier tour de l'élection présidentielle. Néanmoins, ce parti des muets et des invisibles n'est pas celui de l'indifférence. La carte des abstentionnistes est loin d'être homogène et dessine au contraire des zones de forte concentration.
Avec Jean Rivière, géographe, maître de conférences à l'Université de Nantes
26,31%, est une abstention qu'on peut qualifier de haute sans qu'elle n'atteigne pour autant le record du premier tour de la présidentielle de 2002 (28,4 %). Elle s'inscrit dans une tendance à la hausse depuis les années 1980. Et cela pourrait être pire pour les autres élections, selon le géographe, l'élection présidentielle est "l'arbre qui cache la forêt, c'est le dernier scrutin qui mobilise largement."
Les territoires de l'abstention
Sur la carte du vote, on retrouve un double clivage. D'une part des oppositions entre de grandes régions et d'autre part des contrastes à l'intérieur des "mondes métropolitains." L'abstention quant à elle "articule ces deux clivages."
La Corse et les outre-mer
L'outre-mer et la Corse ont des taux d'abstention importants dépassant les 50%, un phénomène que l'on retrouvait dans les scrutins antérieurs à l'élection 2022. Pour Jean Rivière, "cela dit quelque chose autour du rapport à l'Etat dans cette France d'outre-mer éloignée du continent. Et cela dit aussi des éléments sur sa composition sociale, la place des classes populaires, la place des habitants les plus jeunes..."
Puis d'ajouter : "pour la Corse, il faut être prudent, il ne faut pas déduire ou faire un rapport à l'Etat à partir des seuls bulletins de vote."
La Lorraine et le Pas-de-Calais
La Lorraine et le Pas-de-Calais sont deux régions de forte précarité, on y retrouve des proportions d'ouvriers plus importantes que dans le reste du pays, "quand on regarde les indicateurs de précarité sur les niveaux de diplômes et de revenus, on voit que cette carte de l'abstention dessine, par exemple, les contours du bassin minier du Nord ou bien de l'ancienne Lorraine du fer. La carte de l'abstention donne à voir une géographie sociale du pays" déclare Jean Rivière.
Clivages internes
France rurale
Quand on regarde à l'intérieur de chaque département, on remarque différents espaces. D'abord, les mondes ruraux et des espaces périurbains lointains où l'abstention est assez forte, dans lesquels "on retrouve des mondes sociaux plus populaires, d'âges assez avancés."
Résidentialité
A contrario, l'abstention la plus faible se situe, depuis les années 1970, dans les espaces périurbains : "des espaces d'accession à la propriété des couches moyennes ou supérieures, avec une forte stabilité résidentielle des ménages" explique Jean Rivière.
En effet, la stabilité et la sédentarité permettent "une bonne qualité d'inscription sur les listes électorales qui est un facteur décisif."
Quartiers populaires
En se rapprochant des centres, on retrouve, notamment en Île-de-France, des grandes banlieues et leurs quartiers populaires. C'est le cas de la Seine-Saint-Denis où l'abstention est très élevée et où l'on observe beaucoup de précarité sociale.
"Ce sont aussi certains des espaces où le vote pour Jean-Luc Mélenchon a été le plus fort, si on le mesure sur les suffrages exprimés" affirme le géographe.
Mise en garde
Jean Rivière met toutefois en garde sur la géographie du vote : "il faut faire attention aux approches qui cherchent des facteurs spécifiquement géographiques à l'abstention ou bien à tel ou tel vote. Il faut aussi se méfier des récits simplistes qui opposeraient la France des villes à celle du périurbain."
Puis d'ajouter : "tous ces effets régionaux sont des effets de composition sociale, liés à des histoires économiques qui produisent différents types de peuplement et de main d'œuvre, des histoires sociales, des héritages politiques, bref : pas des spécialisations de la géographie."
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