De plus en plus de terres sont rachetées par de grands groupes industriels de l’agroalimentaire ou du secteur de la cosmétique. Des fermes Auchan, des élevages Fleury-Michon, des champs Chanel : dans toutes les régions de France, tous les secteurs sont concernés par cette contre-révolution foncière.
- Lucile Leclair Diplômée de Sciences Po, spécialiste des néo-paysans
Avec Lucile Leclair, journaliste, auteure du livre du livre Hold-up sur la terre, éditions du Seuil, 2021
Quand Lucile Leclair commence son enquête, elle se heurte rapidement à des difficultés. A commencer par le voile opaque qui l'empêche d'accéder à de précieuses données : "il y a des agriculteurs prêts à témoigner qui, au dernier moment, se sont rétractés. L'Etat à qui j'ai posé des questions n'a pas su me répondre, il y a une vraie omerta sur cette mutation du monde agricole."
Depuis les années 2010, l'accaparement des terres sévit en France. Un phénomène invisible : "il n'y a pas d'enseigne, pas de marques dans le paysage agricole, explique-t-elle ; sur les 26 millions d'hectares de terres agricoles en France aujourd'hui, nous ne savons pas quel est le pourcentage qui est détenu par des groupes."
Pourtant, il existe une autorité chargée de veiller à ce que la terre agricole reste entre les mains des agriculteurs : la SAFER, pour Société d'aménagement foncier et d'établissement rural. Née dans les années 1960 quand la France sortait de la Seconde Guerre mondiale, elle a été créée dans le but de favoriser les agriculteurs en régulant l'accès au foncier. "Aujourd'hui, elle a de moins en moins de contre-pouvoirs sur le marché foncier. Elle peut vendre des terres à un groupe industriel", révèle Lucile Leclair.
La disparition des agriculteurs
"Sous la direction de grands groupes industriels, il n'y a plus d'agriculteurs mais des ouvriers salariés. Un groupe qui gère, c'est la disparition du savoir-faire et de l'identité des acteurs. La terre est un organe vivant et si elle est gérée à distance comme une entreprise lambda, il n'y a plus de lien et de connaissance de la terre" affirme Lucile Leclair.
Pourtant, beaucoup de salariés préfèrent ce statut à celui d'agriculteur :"quand le cours du porc est d'un euro, vous ne savez pas si vous allez pouvoir payer les aliments pour nourrir votre élevage. On comprend que les groupes sont aussi des solutions pour un monde en crise" souligne la journaliste.
Accaparement des terres
Lucile Leclair déplore un retour en arrière : "Après d'âpres combats, les agriculteurs étaient devenus maîtres de leurs terres. Pour moi, on remet en cause des victoires qui ont été acquises par les générations précédentes."
Parmi les acheteurs, on retrouve tous types de grands groupes, de Fleury-Michon à la maison Chanel. Cette dernière, par exemple, achète jusqu'à 150 fois le prix moyen de l'hectare en France pour cultiver des fleurs pour les parfums.
Ces acquisitions sont aussi faites par des pays étrangers. En 2016, un industriel chinois avait acquis dans le Berry 1700 hectares de terres, soit 25 fois la taille moyenne d'une exploitation en France, pour cultiver des céréales afin d'alimenter sa chaîne de boulangerie en Chine.
Le déclin de la SAFER
Si les acheteurs étrangers ne représentent que 2% du marché français, l'affaire du Berry a été très médiatisée et a mis en lumière l'inefficacité de la SAFER qui a fait par la suite, l'objet d'une réforme. Pour Lucile Leclair, le manque de moyens juridiques et financiers expliquent le retard de la Société.
Au départ, la SAFER est financée à 80% par des fonds publics. A partir des années 1980, l'Etat la subventionne de moins en moins jusqu'à ne plus rien donner en 2017. La SAFER doit fixer les prix des terres agricoles, mais "au lieu de faire redescendre la température, elle laisse faire parce qu'elle a intérêt à ce que les prix montent.", En effet, privée des subventions, elle se finance aujourd'hui grâce à des commissions sur les ventes des terres.
Lucile Leclair finit : "c'est la première fois dans l'histoire agricole que des entreprises peuvent acheter des terres à l'infini parce qu'elles en ont les moyens financiers. Avec une conséquence préoccupante : la standardisation des exploitations et donc la standardisation des produits alimentaires."
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