

Des murs qui moisissent, du carrelage qui gondole, des fissures qui s’agrandissent et des champignons, l’humidité atteint de tels niveaux dans les maisons pourtant neuves de la cité du 12/14 à Lens que ses habitants ont commencé une grève de la faim. 46 familles sont concernées par ces nuisances.
Avec Pierre Wadlow, doctorant en science politique à l’Université de Lille.
On est au cœur du bassin minier, des poches de chômage du Pas-de-Calais, là où les flots d’argent public n’arrivent pas à éteindre la précarité ni la colère. La cité 12/14 est une ancienne cité minière, et l'une des plus précaires de la ville de Lens. Ces anciennes maisons de briques ont été construites dès la fin du XVIIIe siècle et hébergeaient les mineurs. En 2017, le gouvernement réhabilite le quartier et pour ce faire, choisit de conserver un certain nombre de corons, tout en construisant de nouvelles habitations, qui sont déjà vétustes.
Grève de la faim
Grand projet
En 2014, François Hollande visitait Lens pour parler de ce grand programme de rénovation urbaine "nous voulons conjuguer le beau, l'utile, l'indispensable" annonçait-il. Mais aujourd'hui des habitants ont décidé d'une grève de la faim pour dénoncer l'insalubrité de leurs nouveaux logements. L'État a débloqué des millions d'euros pour rénover ce bâti, "à l'époque ces maisons étaient à la pointe du logement social : il y avait un jardin, tout était neuf et les maisons s'inscrivaient dans la continuité du paternalisme minier" déclare Pierre Wadlow.
Promesses non tenues
Ces logements sociaux ont été construits dans le but d'attirer une nouvelle population : basse consommation d'énergie, modernité... Mais ces dernières semaines de graves problèmes d'insalubrité se sont déclarés : "les habitants alertaient les pouvoirs publics depuis plusieurs mois, les enfants ont commencé à développer des maladies. Et le bailleur social renvoie la faute aux artisans qui auraient oublié de mettre un produit étanche entre différentes parois" explique Pierre Wadlow. Peu de travaux ont été réalisés depuis pour pallier aux problèmes d'humidité.
De plus, dans la cité, une école est en cours de rénovation depuis plusieurs années. Les parents d'élèves s'étaient déjà mobilisés, ils dénonçaient "un décalage entre les promesses faites depuis plusieurs années et le temps réel que prennent les rénovations et les reconstructions." En attendant, les factures de chauffage et d'électricité grimpent, ce qui est encore plus difficile pour les familles qui y habitent.
Conflit de classe
La cité 12/14 est l'un des endroits les plus précaires de Lens : le taux de pauvreté est de 50% et le chômage à plus de dix points au-dessus de la moyenne. Les habitants se sentent oubliés, "le ressentiment qui s'exprime sur la question des logements est plus profond," explique Pierre Wadlow. L'un des grévistes a ainsi déclaré à Mediapart qui a fait un reportage dans la cité : "comme on n'a pas de statut, comme on n'est pas du rang supérieur, eh bien rien n'avance. Si on était directeur, ce serait résolu tout de suite."
Héritage minier
Dans les années 1980, les puits ont été remblayés dans cette cité minière, mais les habitants sont pour certains d'anciens mineurs et en conservent la mémoire : "il y a encore cette identité minière qui est forte et qui passe de l'architecture au style de vie. Il y a aussi tout un travail de mémoire grâce à une association qui s'occupe de continuer de mobiliser cette histoire minière centrale."
Forte résistance
La grève de la faim et la mobilisation des parents d'élèves entrent en contradiction avec l'image "presque misérabiliste qu'on aurait d'un territoire résigné dans lequel les habitants essayent simplement de survivre" déclare Pierre Wadlow, avant d'ajouter qu'au contraire, "le bassin minier continue de valoriser énormément le narratif minier et cela a des impacts sur la mobilisation des individus et sur leur rapport à la politique."
"Ce territoire n'est pas acquis au Rassemblement national," ajoute Pierre Wadlow. Il existe en effet une forte solidarité entre habitants, associations et syndicats.
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