Manche : vers un nouveau partage des eaux 

Un navire de sauvetage britannique de la Royal National Lifeboat Institution prêt à amarrer sur fond de kitesurf
Un navire de sauvetage britannique de la Royal National Lifeboat Institution prêt à amarrer sur fond de kitesurf ©AFP - Ben STANSALL
Un navire de sauvetage britannique de la Royal National Lifeboat Institution prêt à amarrer sur fond de kitesurf ©AFP - Ben STANSALL
Un navire de sauvetage britannique de la Royal National Lifeboat Institution prêt à amarrer sur fond de kitesurf ©AFP - Ben STANSALL
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Alors que les tensions franco-britanniques menaçaient il y a quelques jours le succès de la COP 26, elles empêchent surtout un partage raisonnable des espaces et ressources du canal de la Manche. Comment extraire le bras de mer du bras de fer anglo-européen ?

Avec
  • Paul Tourret Géographe, expert des industries maritimes, navales et portuaires, directeur de l'Institut supérieur d'économie maritime (Isemar)

La Manche n'est pas qu'une frontière maritime séparant la France et le Royaume-Uni, mais aussi un espace partagé sur lequel naviguent les porte-conteneurs, petits chalutiers et désormais les embarcations de fortune. Au durcissement de la politique migratoire britannique s'ajoute la surenchère de menaces autour des droits de pêche, de manière que tous les sujets concernant le couloir maritime franco-britannique s'enlisent dans une logique de guerre économique. 

Comment faire pour mieux partager cet espace que tout tend à départager ? Nous en parlons avec Paul Tourret, géographe et directeur de l’ISEMAR.

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La souveraineté en question dans la Manche 

L'empilement de problèmes dans le canal de la Manche est survenu de manière imprévue pour les acteurs concernés, alors que cet espace est depuis des décennies l'un des plus paisibles au monde d'un point de vue maritime. La question migratoire notamment s'est déplacée de Calais, son centre initial, selon Paul Tourret :  

On se retrouve un petit peu comme dans ces frontières maritimes, ou la frontière mexicaine, où au départ, on a des points de passage, et puis on s'aperçoit progressivement que c'est l'ensemble de l'espace qui est concerné par la rencontre des territoires, avec une mer au milieu, qui se retrouvent un peu dans la mise sous tension.  

On s'aperçoit aujourd'hui qu'on a un glissement vers les autres ports à passagers, notamment Caen-Ouistreham et Cherbourg (..) La Manche est devenue non pas une frontière de l'Europe mais une frontière de la Grande-Bretagne et ses problèmes d'attraction pour les vagues migratoires de plusieurs pays.

Pour Paul Tourret, le problème migratoire interroge avant tout la politique d'externalisation britannique : 

Ce n'est pas tant une question française qu'une question britannique, de son rapport à l'immigration et de son rapport à la frontière. Les accords du Touquet signés il y a presque 20 ans avaient déjà créé une particularité à l'échelle internationale, qui était l'externalisation de la frontière britannique sur la rive opposée.  

Au niveau de la pêche, les accords successifs ne permettent plus non plus à résoudre les tensions de manière satisfaisante : 

Les îles anglo-normandes avaient déjà un statut un peu particulier, mais elles étaient régies par les accords de pêche avec la Grande-Bretagne. Là, on se retrouve avec une situation particulière, c'est qu'on avait des eaux britanniques riches en poissons mais pauvres en pêcheurs, et dans lesquelles les systèmes de pêche européens et le système de pêche français en particulier allaient puiser. On a eu à nouveau des accords de régulation, mais on s'aperçoit qu'on renvoie aussi vers une souveraineté halieutique, et les îles anglo-normandes nous posent un vrai problème en étant littéralement en coin dans cet espace français et qu'il faut gérer alors des histoires de licences et des détails. Paul Tourret

Dilemmes de coopération pour la France et le Royaume-Uni 

Entre la France et le Royaume-Uni, le torchon brûle, rappelant d'autres contextes géopolitiques, pour Paul Tourret

On dirait ces conflits du bout du monde; on regarde souvent la Méditerranée orientale ou l'Asie du Sud-Est et on découvre qu'on peut avoir près de chez soi des conflits et des montées de pression qui sont peu habituelles pour des régimes démocratiques, et on va dire calmes d'Europe de l'Ouest.  

Pourtant, malgré les menaces proférées par la ministre de la Mer Annick Girardin de couper l'électricité à Jersey, la France et le Royaume-Uni entretiennent un nombre important de projets de raccordement électrique entre les deux territoires : 

La Grande Bretagne abandonne le charbon et passe à l'éolien offshore et à l'énergie renouvelable, et la France est un peu dans le même système, donc il faut faire des échanges d'électricité. On est aussi censés avoir une grande centrale nucléaire dans la zone un jour ou l'autre, donc les systèmes d'échange d'électricité sont importants. Pour les énergies renouvelables, il y a des projets communs aussi entre des îles Anglo-Normandes, avec des moyens industriels français. Il doit y avoir une Europe de l'énergie et elle passe aussi par la Manche. Paul Tourret

Même au niveau des contrôles douaniers, grand enjeu du Brexit, le tableau pourrait être plus sombre : 

On a mis en place un fonctionnement assez intelligent et à peu près prévu, c'est-à-dire qu'on fait du pré-contrôle, on s'occupe de ça du côté français. L'électronique permet des choses, on n'a pas vu de catastrophe, le système est plutôt bien fait aujourd'hui, même si Calais est le premier port concerné. Paul Tourret

Les nouveaux besoins de rapprochement entre l'Irlande et le reste de l'UE ont aussi généré leur lot d'offre : Brittany Ferries_,_ la compagnie bretonne de transport de passagers et de marchandises créée après l'adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne en 1973, a ouvert une nouvelle liaison entre Le Havre et Rosslare en Irlande :

Effectivement, on a derrière la Grande-Bretagne l'Irlande, qui avait un petit trafic, essentiellement à Cherbourg ou, en saison, du côté de Roscoff, et aujourd'hui, il y a un véritable besoin de connectivité entre le continent et l'Irlande. Paul Tourret

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