Il y a deux Roubaix : l’une autour du parc Barbieux abrite les grands noms du patronat français : la famille Arnault, la famille Mulliez et de superbes maisons ; l’autre, au nord enserre de quartiers en quartiers, dans de petites ruelles et quelques barres d’immeubles, une population très pauvre...
Avec Anne Bory, sociologue, maîtresse de conférences à l’Université de Lille.
Le 23 janvier, le producteur Tomi Comitti diffuse son enquête Zone Interdite sur l'Islam radical à Roubaix. Le documentaire fait rapidement polémique sur les réseaux sociaux et la présentatrice, Ophélie Meunier est placée sous protection policière. Si certaines personnes y ont vu une représentation exacte et alarmante de la montée de l'islamisme en France, d'autres ont signalé une exposition stéréotypée et alarmiste de la religion. Les Enjeux territoriaux mènent une contre-enquête...
Pour Anne Bory, l'enquête de Zone interdite est "une pierre de plus à une construction médiatique et politique stigmatisante, qui s'appuie sur des faits qui sont réels, mais extrêmement minoritaires."
Le "Roubaix-Bashing" est observé par les sociologues des médias depuis plus de 10 ans. Ce processus méprisant réduit la ville en deux fractions : un Roubaix qui, d'une part connaît la précarité causée par à la désindustrialisation et d'autre part, qui subit la radicalisation de l'islam dans l'espace public. Des clichés renforcés par l'immigration continue depuis plus d'un siècle.
Roubaix, concentration des richesses
Si Roubaix est comme beaucoup de ses sœurs des Hauts-de-France, une ville post-industrielle, elle abrite aussi les demeures de certaines des plus grandes fortunes de l'Hexagone. Quand l'ISF était toujours appliqué, c'est ici que les contribuables payaient le plus d'impôts, "la plupart travaillent plutôt à Lille et sont pour une partie d'entre eux des héritiers des fortunes textiles qui se sont constitués à Roubaix depuis depuis le 18ème siècle" éclaircit Anne Bory.
Qui dit héritage industriel, dit aussi immigration. La ville est majoritairement peuplée de classes populaires, pour la plupart arrivées du temps où les usines étaient encore en activité. Anne Bory précise que "l'industrie textile s'est nourrie depuis la fin du 19e siècle de vagues successives d'immigration suscitées par le patronat. D'abord la Belgique, puis l'Europe de l'Est, du Sud et enfin plutôt le Maghreb. Ce qui fait qu'aujourd'hui quand on pense immigration et Roubaix, on pense surtout Algérie, Maroc, Tunisie. Mais ça ne résume pas non plus l'histoire migratoire de ce territoire."
Urbanisme fragmenté
Quand une ville voit cohabiter en son sein les plus grandes fortunes de France et leurs ouvriers, les disparités sont forcément accentuées. "L'espace roubaisien est un espace d'extrême ségrégation, étant donné l'absence de catégories sociales supérieures dans le reste de la ville" explique Anne Bory. Si quelques locaux industriels ont été rénovés en lofts, leurs propriétaires plus aisés ne se mélangent pas à la population de leur nouveau quartier.
Emploi populaire et précaire
Loin des stigmates, Roubaix n'est pas une ville fantôme dans laquelle prospère une population désœuvrée. Les emplois sont variés et si beaucoup d'entre eux sont toujours dans le secteur du textile une nouvelle économie émerge et se développe. Par exemple les secteurs de la logistique ou du commerce. Les femmes sont nombreuses à travailler dans la santé et le service à la personne. Anne Bory complète "le premier employeur à Roubaix après l'hôpital, c'est le secteur associatif."
Mais malgré une certaine diversification des secteurs d'activités, l'emploi populaire roubaisien reste plus précaire qu'ailleurs. Les salariés sont beaucoup plus nombreux à être à temps partiel que ceux du reste de la France. Le taux de chômage atteint aussi des records. Évalué en 2018 à 30%, il est près de quatre fois supérieur à celui de la moyenne nationale.
"Seuls, on ne s'en sort pas."
C'est pourquoi des réseaux de solidarités se créent et une partie importante des habitants travaille de façon informelle "quand vous vous baladez dans Roubaix, il y a des tas de petites affiches sur les fenêtres, de propositions de service ou de vente d'objets sous forme informelle et souvent en toute petite quantité. Une multiplicité de tâches qui permet de tenir la tête hors de l'eau pour l'immense majorité des familles populaires roubaisienne" illustre la sociologue.
Les économies familiales sont souvent composées de certains revenus salariés déclarés, de prestations sociales dues à la grande pauvreté et complétées par quelques revenus non déclarés. Selon Anne Bory, il est primordial d'être "intégré dans des réseaux de relations assez serrés." La pratique religieuse participe de cette solidarité pour les catholiques comme pour les musulmans : "seuls on ne s'en sort pas." conclue la sociologue.
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