Depuis un mois, les mouvements de grève se multiplient parmi les employés de Disneyland Paris à Marne-La-Vallée. Quels dysfonctionnements viennent déranger l'univers enchanté du premier employeur mono-site de France ?
- Hacène Belmessous Chercheur indépendant et journaliste
En Seine-et-Marne, l'agglomération Val d'Europe se détache du reste du département par ses niveaux de salaire et sa structure d'emploi. Issue d'une vaste coopération public-privé conclue en 1987, l'agglomération est en partie aménagée par Euro Disney, générant des frictions avec les élus locaux. S'y ajoute le contexte de crise sanitaire et la crainte d'un plan social dans un territoire dont l'emploi dépend surtout du parc d'attraction et de son réseau hôtelier, avec 56 000 emplois liés de près ou de loin à l'activité touristique.
Que nous apprend Val d'Europe sur l'aménagement du territoire en partenariat public-privé ? La baisse du tourisme induite par la crise sanitaire est-elle porteuse de risque pour l'emploi autour de Marne-la-Vallée ? Comment jongler avec la dépendance de ce territoire face au géant Disney ? Nous abordons ces questions avec Hacène Belmessous, chercheur indépendant et écrivain, contributeur au Monde diplomatique et à la revue Esprit.
Quand Disney aménage la Seine-et-Marne
Lorsque, en 1987, Disney décide de construire un parc d'attraction en Seine-et-Marne, l'Etat manifeste notamment la volonté de rééquilibrer l'est et l'ouest de Paris. Si le projet américain n'est pas plébiscité au départ, la région a besoin de développer ses territoires :
On était dans un territoire qui était assez assez désert, un territoire agricole à l'abri. Pour beaucoup, ça a été une opportunité d'urbaniser un lieu et de lui donner des qualités qu'il n'avait pas. Hacène Belmessous
La convention conclue entre l'Etat et Disney était unique en son genre dans l'ampleur des pouvoirs concédés à l'entreprise, qui lui a permis de construire un espace à son image :
C'est un partenariat public-privé particulier, c'est-à-dire que l'Etat est représenté localement par un établissement public, et Disney est tenu d'urbaniser sur des décennies le lieu. (..) Disney a construit son parc et aménagé le lieu, et l'Etat, en contrepartie, a construit une gare, la gare de Marne-la-Vallée. Et puis Disney a obtenu de l'Etat qu'il soit le seul aménageur du lieu dans un rayon assez important : seuls les hôtels qui étaient qui avaient la primature de Disney étaient autorisé à s'installer, donc il n'y avait pas de concurrence.
Quand bien même Disney est tenu d'assurer une programmation toutes les 10 années qu'il est tenu d'opérer pour ne pas être dessaisi par l'Etat, Disney a toujours été dans l'optique de faire un lieu qui lui ressemble. On est donc dans un espace résidentiel, et dans lequel l'industrie qui opère, c'est sa propre industrie. Les commerces sont choisis par Disney; le Val d'Europe est en vérité un centre commercial au cœur des cinq communes qui constituent ce territoire. C'est la raison pour laquelle il ne peut pas y avoir de bureaux, de la même manière que l'on ne peut pas y avoir d'usines polluantes. Hacène Belmessous
Sur les 600 mille mètres carrés de bureaux prévus dans l'accord de départ, seuls 130 mille ont été livrés en 2017. Un écart que l'Etat est contraint de tolérer pour sauvegarder l'emploi créé par Disney, alors que la crise financière de 2008 avait généré la crainte que le géant américain puisse se retirer du marché français. Pour les communes aux alentours, Disney préempte donc des revenus potentiels, tout en restant essentiel au développement urbain :
La société Disney abondait à quasiment 90 % des revenus de certaines communes locales, qui ont bien vécu : vous avez des médiathèques de très grande qualité, avec des architectures spectaculaires, des piscines… Les villes ne se sont pas plaintes non plus, les bailleurs sociaux, les bailleurs sociaux qui s'installent, ce n'est pas Paris Habitat ou le pacte de Melun, il faut quand même remettre l'église au centre du village. Mais ce sont des villes qui dépendent de Disney. La question qui se pose, c'est si les résidents s'imaginent vivre dans un autre territoire, dans une ville publique, avec les contraintes des villes publiques, ça, je n'en suis pas sûr.
Pour Hacène Belmessous encore, le Disney ne serait pas une entreprise respectueuse des droits des salariés, ce qui expliquerait les mobilisations actuelles.
Disney joue aussi de cette carte, c'est-à-dire qu'il y a quand même des milliers de salariés, ses propres salariés et des prestataires. Disney est d'abord une entreprise de loisirs, avec ses règles, ses codes. Ce n'est absolument pas un patron social.
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