

Installer de gros ailerons, viriliser les traits de son SUV ou relaquer sa carrosserie avec des couleurs criantes… Le tuning, au-delà de son caractère esthétique, est une pratique sociale ancrée dans une tradition ouvrière. De quelle logique procèdent les tuners dans le sud-ouest de la France ?
- Eric Darras Politiste, directeur de Sciences Po Toulouse
Le tuning, activité populaire et esthétique souvent méprisée, concentre de forts enjeux sociologiques. Dans un Sud-Ouest désaffecté par l'industrie automobile, il rassemble de jeunes hommes touchés par la désindustrialisation et fiers de leur attachement au moteur thermique.
Comment les enjeux économiques de la région se traduisent-ils dans les pratiques des tuners ? Nous en parlons avec Eric Darras, politiste, directeur de Sciences Po Toulouse.
Un objet de recherche original
Par la description du tuning comme fait social et forme de politisation, Eric Darras s'inscrit dans les travaux sociologiques d'Emile Durkheim :
Durkheim s'est intéressé au suicide pour montrer qu'il existe des faits sociaux parce qu'à l'époque, il était considéré comme le fait individuel par excellence. On fait le choix de se donner la mort. Donc, l'idée, c'est de prendre pour objet l'enquête qui est la plus éloignée possible de la question qu'on se pose. Et donc, moi, je cherche des formes de politisation en dehors de la politique officielle, de la politique ailleurs, autrement.
Prendre le tuning, c'est prendre l'objet le plus méprisé et stigmatisé, le plus éloigné de la politique institutionnelle mais aussi de mon propre monde.
Les valeurs du tuning
Eric Darras a particulièrement étudié le tuning dans le Sud-Ouest. Mais partout où il existe, il s'inscrit dans un contexte particulier :
Il se situe dans les grands bourg, des zones industrielles de Rhône-Alpes, du Nord ou de la Picardie, du Pas de Calais, et finalement dans le Sud-Ouest. C'est un phénomène culturel mondial qui a pour particularité d'être d'origine rurale dans tous les pays, que ce soit aux Etats-Unis, où c'est né dans les années 1930, mais aussi en Espagne, en Allemagne, au Japon.
En France, ce sont surtout les anciens territoires industriels de campagne qui sont concernés. On trouvera ainsi un profil-type de tuner :
Dans le sud-ouest de la France, le tuner-type est un homme de moins de 25 ans, qui est aujourd'hui intérimaire ou salarié d'un petit commerçant. Qui peut être boulanger ou chauffeur routier, qui a un niveau CAP, BEP, parfois bac professionnel, mais qui sont très souvent des fils d'ouvriers de l'usine qui a été délocalisée.
Ce que le tuning symbolise, c'est aussi cette continuité d'une culture ouvrière. Il s'agit de valoriser cette intelligence de la main, ce goût du travail bien fait qui caractérise aussi les valeurs ouvrières, cette nécessité de travailler aussi. (..) Ils méprisent ceux qui vont recourir aux kits et plug-ins.
Chez les tuners, les hiérarchies sont visibles entre le virtuoso et le porteur de projet. Pour les femmes, c'est ou bien accompagner leur mari ou faire partie des rares tuneuses :
Il y a de plus en plus de femmes dans le tuning, mais il faut distinguer les femmes de tuners qui sont très passives et accompagnent souvent simplement leur conjoint et vivent assez mal les meetings. Les tuneuses jouissent elles d'un grand prestige dans ce monde du tuning. (..) Celles qui véritablement vont mettre les mains dans le moteur et transformer le véhicule sont très reconnues dans le monde du tuning et participent à la transformation de cette société post-industrielle rurale, même si dans ce monde-là aussi, il existe évidemment un plafond de verre.
Tuning et politique
Comme tous les mondes sociaux, on s'oppose à ceux qui sont au-dessus, et ceux qui sont en-dessous. Au-dessus, ce sont ceux qui sont considérés comme les feignants et les profiteurs. Ça peut être à la fois des chômeurs, mais aussi des fonctionnaires ou des grands patrons qui profitent du système. Et en-dessous, il y a une très forte peur du déclassement social, on se distingue des 'cassos', de tous ceux qui ne sont pas à la hauteur de cette culture ouvrière et populaire qu'on essaye de préserver.
La stigmatisation des tuners, les dispositions de plus en plus strictes du code de la route dissuadent de plus en plus les tuners, qui n'organisent déjà plus le Paris Tuning Show. Mais la mobilisation se déplace ailleurs :
Eric Drouet est le leader du team Muster Crew, et c'est ce team qui, avec Priscilla Ludosky, le 17 novembre 2018 lance un grand rassemblement de son team avec les teams associées autour du périphérique qui va lancer le mouvement des Gilets Jaunes.
On voit bien comment tous ces savoirs-faires, y compris en matière de communication, d'organisation d'événements, vont s'actualiser sur les ronds points du tuning, bien souvent précisément le rond point qui mène au parking du supermarché où se font les rassos, ces rassemblements informels de tuners.
Lectures
Un lieu de mémoire ouvrière : le tuning, Eric Darras, Sociologie de l'Art.
Le tuning, pratique populaire stigmatisée, Eric Darras, Mondes Sociaux.
Du rassemblement de tuning au rond-point des Gilets jaunes, Eric Darras, Actes de la recherche en sciences sociales.
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