Pourquoi faut-il de temps en temps lire les classiques ?

France Culture
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J’étais en plein débat contemporain, sur la question de la différence des sexes, et sur la notion de genre. A ce moment-là est apparue une nouvelle querelle, à propos de la notion de race, qu’on voudrait supprimer de la constitution.

Deux articles m’ont beaucoup intéressée. Le premier, de Nancy Huston et Michel Raymond, le second la réponse de Laurent Jenni. Les deux premiers ne nient pas qu’il y ait des différences entre les sexes ou les hommes induites par ce qu’on nomme en gros « la culture » : l’histoire, l’éducation, les attentes d’une société donnée. Mais pour eux, il existe aussi des différences qui ne leur seraient pas réductibles, et qu’on serait obliger d’assigner qu’on le veuille ou non à des réalités de nature.

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Le deuxième leur répond : il les contredit vivement, et se range avec des arguments dans le camp de ceux pour qui certes il y a des différences, mais dit-il, on n’a jamais pu apporter la preuve qu’elles sont « de nature » biologiques ou physiologiques.

Je ne vais entrer qu’indirectement dans ce débat. Pour ma part, je dois quand même dire que je me sens plus proche des thèses de Laurent Jenni. Mais je voudrais ce matin donner un exemple des incroyables changements qu’il peut y avoir eu, en un siècle et demi sur ces questions.

En relisant quelques romans de Balzac. Il ne désigne pas directement de causalités physiologiques. Il décrit simplement l’univers dans lequel il vit, dans lequel il pense, et la manière dont dans cet univers on voit les femmes. Pour lui, ça va de soi : les femmes sont de nature différente, et il va le montrer à travers des exemples. Et elles ont des traits spécifiques. Qu’il va énumérer.

C’est stupéfiant. Le plus attaché aux différences spécifiques, naturelles, des femmes ne pourrait utiliser aucun de ses arguments, et ne reconnaîtrait pas « la femme » dans l’espèce d’être qu’il décrit, et en qui il voit « l’essence de la femme ».

D’abord, elle doit être mariée : la vieille fille est un monstre, qui n’a trouvé aucun emploi pour ses qualités de nature, la souffrance, la douleur, le dévouement. La vieille fille subit des conséquences jusque dans son corps, quoi se raidit aux articulations !

Ensuite, si elle est mariée : elle doit obéir. Une femme qui gouverne son mari est un monstre, elle sort de sa nature, elle se contrarie en permanence. Elle croit être libre quand elle gouverne un sot, un homme nul : elle ne voit pas les joies qu’elle trouverait à être gouvernée par un homme supérieur.

Socialement, c’est donc bien que la loi en fasse une mineure, cela va l’aider eà ne pas contrarier ce penchant à l’obéissance, qui est en elle.

Quant à son corps : une vraie femme ne doit pas avoir trop de santé, cela lui ôte le charme naturel à son sexe qui est la faiblesse. Quand elle marche, pas de grands pas quand elle s’assied, elle doit se laisser glisser.

Balzac est-il sexiste ? Non. Il décrit ce qu’il appelle « une femme » et que toute l’époque appelle ainsi.

Ce type de femmes est tellement à l’évidence une pure construction qu’on peut se demander si, à toutes les époques, il n’en va pas de même.