Sartre et Beauvoir

France Culture
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Sartre subit aujourd’hui une espèce de purgatoire. Il ne pouvait se sortir sans dommage de la révision générale des grandes utopies du XXème siècle. Même s’il s’est montré très critique envers le marxisme, dans la Critique de la raison dialectique, et très critique envers le parti communiste français dès 1956 et la répression du soulèvement de Budapest, il demeure un « compagnon de route ».

A cause de cela, il s’est vu éclipser par certains de ses contemporains, dont Camus. Certainement moins bon philosophe, et ambigu au moment de la guerre d’Algérie, Camus demeure celui qui a dès le début des années 50 rejeté nettement le socialisme autoritaire, notamment dans l’Homme révolté , qu’on a lu avec passion dans les pays de l’Est - qui faisaient eux l’expérience quotidienne du socialisme réel.

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Sartre est éclipsé aussi par Simone de Beauvoir. Qui, elle, n’a cessé d’être présente, dans des colloques, des revues, a même donné son nom à un « Prix pour la liberté des femmes » depuis 2008.

Et à mes yeux, ce n’est que justice. Car dans le couple Sartre-Beauvoir , c’est sur tous les plans, elle qui est la plus intéressante. Evidemment, la renommée de SdB tient essentiellement au Deuxième sexe, qui a fondé un féminisme universaliste, parfois contesté, mais plus que jamais à l’ordre du jour : plus que jamais il est nécessaire de rappeler que la différence des sexes ne soit pas entraîner une hiérarchie entre les deux et que l’un et l’autre des deux sexes font l’objet d’une construction sociale tout au long de l’histoire.

Mais il y a autre chose. Quand Sartre s’engage dans les années du début de la guerre froide, SdB le suit, mais non sans résistance. Sartre abandonnera la littérature pour la politique, elle, non. Elle se montrera assez imprudente en parlant de la Chine de Mao, ou à propos de Pasternak, elle accompagnera Sartre à Cuba ou Moscou, mais elle continue de mener son propre chemin, et elle est tout entière à son œuvre littéraire et autobiographique.

Surtout, sur le plan personnel, elle est beaucoup plus courageuse et même révolutionnaire que lui, qui voulait l’être en politique. Elle ne cède sur rien, elle obéit à la logique d’amours passionnées, parfois à l’écart des normes : elle ne s’en vante pas, ce n’est pas l’époque, mais elle le fait. Lui, pendant ce temps-là, il ou est retourné vivre chez sa mère pour se protéger des femmes…

On a voulu faire d’elle une « victime » du machisme de Sartre. Je n’irai pas jusque là mais je remarquerai seulement ceci. Lorsqu’ils viennent juste de se rencontrer, et qu’ils ont choisi tous deux de ne pas se marier, elle dit : Sartre ne voulait pas « renoncer aux femmes et à leur séduisante diversité ». Elle ne dit pas du tout : moi non plus je ne voulais pas renoncer aux autres amours. Elle y cèdera d’ailleurs, mais sans vouloir compromettre sa relation avec Sartre. Ainsi quand elle est passionnément éprise de Nelson Algren, elle le quitte. Pour soutenir Sartre, avec une constance qui nous paraît presque excessive.

Je n’ai pas lu une ligne de Sartre pour la soutenir au moment du IIème sexe , et pourtant dieu sait qu’elle l’a été.

**> ** Retrouvez notre dossier multimédia sur Sartre vu par les étudiants de l'ENS.

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