Est-il vrai que le vécu de nos ancêtres nous influence ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
Et si vos angoisses, vos faiblesses, vos maladies n'étaient pas de votre fait mais de celui de vos ancêtres ? Tel est le postulat de la psychogénéalogie, une pratique développée dans les années 1970 et qui fait porter sur les générations présentes, le poids des générations passées.
Françoise Dolto ou Serge Tisseron ont proposé des approches théoriques de transmission entre générations mais d'un autre côté la psychogénéalogie a été dénoncée tant pour son manque de sérieux scientifique que pour la possibilité de dérives sectaires.
Nous avons demander à Sylvie Angel, psychiatre et thérapeute familial au centre Pluralis qu'elle a cofondé de répondre aux questions de Nicolas Martin pour savoir si la psychogénéalogie est une pratique sérieuse.
Est-ce que la psychogénéalogie est une pseudoscience ?
Sylvie Angel : "La psychogénéalogie, ça a d'abord été de comprendre qu'il y avait un lien entre les difficultés des enfants et la problématique familiale. Ce n'est pas une pseudoscience, c'est un concept qui est issu de recherches, je dirais transgénérationnelles, qui ont démarré aux États-Unis au début du siècle dernier et qui ont été traduites sous le terme de psychogénéalogie pour montrer qu'on va travailler sur deux ou trois générations pour comprendre un peu mieux l'histoire familiale."
La vie de mes ancêtres du XVe siècle peut-elle m’influencer ?
Sylvie Angel : "Pour moi, ce n'est pas sérieux parce qu'on n'a pas beaucoup d'éléments sur cette période-là et surtout, il faut toujours replacer une histoire dans un contexte. Par contre, quand on travaille sur ce qui s'est passé pour nos parents ou grands-parents, on va à la fois intégrer l'histoire très proche et comprendre un peu ce qui a pu se passer pour eux dans un contexte qui était peut-être plus difficile. Je pense par exemple à la dernière Guerre mondiale, ou des choses comme ça, qui peuvent en effet avoir complètement marqué une génération et évidemment déterminé beaucoup de choses pour la génération suivante."
Quelles sont les origines de la psychogénéalogie ?
Sylvie Angel : "Il y a eu évidemment les travaux de Freud, le côté psychanalytique. Et puis il y a eu Nathan Ackerman aux États-Unis dans les années 1940 et après-guerre en 1945 aussi, qui a commencé à travailler sur ce qu'on pouvait comprendre de l'histoire familiale. Et puis, il y a eu d'autres personnes qui ont complété cette réflexion. Je pense en particulier à Ivan Boszormenyi-Nagy, qui a parlé des loyautés invisibles qui montraient un peu qu'il y avait une comptabilité dans les familles et qu'on pouvait avoir "des dettes" vis-à-vis de nos parents ou de nos grands-parents. C'est une science qui s'est inspirée de nombreux chercheurs. On utilise souvent ce qu'on appelle un arbre généalogique qui a été emprunté aux sociologues. Donc, là encore, un emprunt à un autre champ de réflexion et qui nous permet de mieux comprendre visuellement le lien entre le nombre d'enfants, les grands-parents, les parents, etc… Ce qui nous aide à avoir une photographie de la famille et ce qui permet de poser des questions : "Est-ce qu'il y a eu des décès précoces ? Est-ce qu'il y a eu des traumatismes particuliers ? Etc.". Ce qui nous permet de comprendre avec nos patients ce qui a pu se jouer auparavant."
Que peuvent me transmettre mes grands-parents même si je les ai peu connus ?
Sylvie Angel : "Par exemple, si on prend la dernière Guerre mondiale qui correspond, je pense, à vos grands-parents, on voit très bien qu'il y a des traumatismes majeurs, que les gens ont pu vivre cachés, perdre beaucoup de membres de leur famille ce qui déclenchent des angoisses intérieures extrêmement fortes qui vont retentir sur votre regard vis-à-vis du monde. Par exemple, l'angoisse est une maladie transmissible. Ce que j'explique toujours à mes patients, c'est que la bonne nouvelle est qu'on en guérit. Donc, l'idée, c'est de mettre un sens sur ce qu'on ressent, de comprendre si ça a un lien avec notre histoire familiale ou pas. Et puis surtout, de donner les moyens aux gens d'aller mieux, ce qui est quand même le but."
Avec un lourd passé familial, je n'y peux rien si je vais mal ?
Sylvie Angel : "Il fut un temps où on disait tout se joue avant 6 ans et puis on est revenu là-dessus et de la même façon, le déterminisme familial, c'est un poids qui serait beaucoup plus important. Donc, évidemment, on ne va pas être déterminé parce qu'il y a beaucoup de facteurs qui vont nous influencer dans notre vie et heureusement, nous avons une grande liberté de faire nos propres choix. Par contre, clarifier ce qui a pu se passer dans notre famille nous aide à développer ces degrés de liberté."
Pourquoi certains comparent la psychogénéalogie a une dérive sectaire ?
Sylvie Angel : "Probablement parce qu'il y a des gens qui ont utilisé l'arbre généalogique ou certains concepts pour en faire, je dirais force de loi ou aller chercher encore plus loin. Mais là encore, il faut se méfier de ceux qui s'autoproclament thérapeutes et qui n'ont pas le background suffisant pour l'être. C'est un métier difficile qui n'est pas complètement référencé."
Comment être sûr que mon thérapeute soit compétent en psychogénéalogie ?
Sylvie Angel : "N'importe qui peut s'autoproclamer thérapeute, donc il y a maintenant des associations qui vérifient un peu. Mais aujourd'hui, vous pouvez très bien dire : "Je suis thérapeute, j'ai fait un week-end de formation en n'importe quoi et je vais décider de recevoir des patients." Il faut donc se méfier, ne pas aller voir n'importe qui parce qu'on vous a dit : "Untel est très sympa". Je crois que l'idée, c'est d'aller voir des gens diplômés déjà. Il n'y a pas de diplôme de psychogénéalogie, à ma connaissance, qui soit reconnu par la communauté scientifique. Allez chercher plutôt un psychiatre ou un psychologue qui a une formation de psychothérapeute, et qui a eu un minimum de diplômes. Les diplômes ne suffisent pas à établir des relations avec des patients, mais c'est quand même le minimum syndical, c'est-à-dire d'avoir étudié un peu la psychologie individuelle."
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