Les lieux culturels favorisent-ils la transmission du Covid-19 ?

Les lieux culturels sont-ils de possible clusters ?
Les lieux culturels sont-ils de possible clusters ? ©Radio France
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Peut-on rouvrir les musées, cinémas, théâtres et autres salles de loisirs sans risque ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.

Cela fait maintenant quatre mois que les salles de cinéma, de théâtre, que l’ensemble des lieux culturels sont fermés en France, pour cause de coronavirus. Quatre longs mois qui laissent le secteur culturel exsangue. Nombre de fédérations de chaque secteur implorent aujourd’hui le gouvernement de rouvrir ces lieux, en suivant un protocole sanitaire strict.

Elles font valoir que non seulement d’autres pays l’ont fait, mais aussi que les salles quelles qu’elles soient, théâtre, cinéma, musées, ne sont pas des lieux de contamination ou de cluster tant que des précautions strictes sont prises. Alors peut-on aller au cinéma sans risque ? Doit-on rouvrir les musées ? Comment calculer la probabilité de contamination ? Voici les questions que nous avons posées à Bertrand Maury, chercheur à l’université Paris-Saclay au Laboratoire de mathématiques d’Orsay et membre de MODCOV19, une plateforme de modélisation pour mieux lutter contre la pandémie.

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Les lieux culturels favorisent-ils la transmission du Covid-19 ?

Bertrand Maury : "C'est une question complexe. Certains d'entre eux semblent être relativement sûrs du fait de leur grand volume."

Quels sont les lieux les plus à risque ?

Bertrand Maury : "Je pourrais dire un mot sur les musées tout d'abord, qui sont des espaces en général très importants avec de grands volumes qui vont permettre la diffusion et la dilution des aérosols. Donc, ces aérosols, je précise, sont des toutes petites particules, des petites gouttelettes de l'ordre d'un millième de millimètre, qui vont flotter dans l'air. Donc elles ne vont pas tomber. Elles sont trop petites pour tomber, contrairement aux postillons ou aux grosses gouttelettes qu'on émet quand on crie, par exemple. Ces particules vont être entraînées par l'air environnant et se répandre dans tout l'espace disponible. Et la précaution principale qu'on puisse prendre contre ces microgouttelettes, contre ces aérosols, c'est de ventiler. C'est donc d'utiliser le maximum d'espace disponible. Donc les grands espaces sont plutôt assez favorables, comme les musées ou certaines très grandes salles de théâtre ou de cinéma. Et la qualité de la ventilation joue un rôle extrêmement important. C'est vraiment la mesure qui va permettre le renouvellement de l'air par de l'air extérieur qui va permettre la dilution ou la diminution de la concentration de ces petites particules potentiellement contaminantes."

Peut-on calculer la concentration de ces particules ?

Bertrand Maury : "On peut faire des choses, on peut faire des calculs sur ordinateur. Par exemple, il y a eu une modélisation à la Philharmonie par Dassault, basée sur la résolution d'équations en utilisant des ordinateurs très puissants. On peut faire aussi des choses expérimentalement. Ces aérosols sont difficiles à mesurer. En pratique, c'est très difficile de savoir à tel endroit quelle est la concentration d'aérosols. En revanche, on peut faire des mesures indirectes. On a des raisons scientifiques tout à fait solides qui permettent de se convaincre que la concentration de dioxyde de carbone - qu’on émet quand on parle, quand on respire - a une corrélation très forte avec la concentration des aérosols potentiellement contaminants. Donc, on ne mesure pas directement les aérosols. C'est quelque chose qui peut être fait, mais simplement, ça fait appel à des dispositifs expérimentaux très lourds. En revanche, le CO2 peut être mesuré très simplement avec des petits capteurs qu'on peut acheter dans le commerce autour de 100 ou 200 euros."

Quels sont les lieux culturels qui pourraient rouvrir ?

Bertrand Maury : "Les deux mots clés sont dilution et ventilation. Dilution, si on a de grands espaces, on va avoir une dilution de ces aérosols, donc là le volume de la pièce, simplement, plus le volume est important, moins on aura de risque. La hauteur sous plafond aussi est importante, au-delà même du volume. Parce que la convection naturelle fait simplement que l'air chaud monte. L’air émis est évidemment chaud, il a tendance à monter. Il semblerait qu'à la fois le CO2 et les aérosols potentiellement contaminants vont s'accumuler au plafond et finir par être évacués par ventilation. Et la qualité de la ventilation c'est un point un peu plus délicat parce que plus difficile à mesurer si on n'a pas cette mesure, justement, du dioxyde de carbone. La ventilation, ça peut être simplement d'ouvrir la fenêtre en grand si c'est possible, ça marche très, très bien. On peut vérifier qu'on a une chute de dioxyde de carbone en quelques minutes et donc, a priori, une chute des aérosols contaminants."
 

Qu'en est-il des salles de cinéma ou de théâtre dans lesquelles le public ne circule pas ?

Bertrand Maury : "C'est un peu plus délicat, il faut faire, je pense, des études spécifiques. On ne peut pas énoncer de loi générale sur la taille. Le volume ne suffit pas à caractériser une pièce. La ventilation est importante et ça, c'est quelque chose qu'il faut vérifier sur chaque salle. À titre personnel, je pense que ça devrait être fait de façon généralisée. Un point positif quand même pour les salles de cinéma ou de théâtre, c'est que les gens a priori ne parlent pas. Alors ils peuvent crier bravo à la fin, au moment des applaudissements. Mais ça reste assez favorable. Le fait qu'il n'y ait pas d'émission, cela limite non pas les émissions de dioxyde de carbone, mais d'aérosols puisque le maximum est émis quand on chante, par exemple. Ça, c'est une situation très défavorable. Mais pour le public qui reste calme, on a quand même une situation relativement favorable.

J'ai peu parlé de masque jusqu'à maintenant, ça reste une précaution absolument essentielle, puisque le masque va filtrer une partie au moins de ces aérosols. Le masque garantit une filtration de l'ordre de trois microns, donc des toutes petites particules. En fait, il semblerait que ça filtre même un peu mieux que ça, donc ça reste absolument essentiel. Vérifier que les gens portent bien le masque dans un lieu sombre, je crois que c'est un point qui peut être un tout petit peu délicat. Mais je pense que l'exploitant pourra peut-être se donner les moyens de faire des vérifications plus précises. En tout cas, c'est vrai que si les gens ne portent pas de masque, ça reste quand même risqué. Par ailleurs, juste un mot peut être sur les salles les plus modernes. Je pense en particulier aux salles de cinéma, de grands espaces, très modernes a priori, qui sont conçus selon des normes de ventilation qui sont assez restrictives, assez exigeantes. Les premières mesures qui ont été faites semblent suggérer que la plupart de ces grands espaces, en particulier les salles modernes, sont des espaces très bien ventilés, donc a priori avec un risque relativement limité."

Les festivals et lieux en extérieurs ne sont pas dangereux ?

Bertrand Maury : "On a maintenant des chiffres assez précis sur le taux, le pourcentage de contamination à l'extérieur, qui est relativement faible, je ne voudrais pas avancer un chiffre, mais il semble vraiment clair maintenant que la plupart des contaminations se font en lieux clos. Donc, les lieux ouverts sont a priori assez favorables. Il faut des précautions de distanciation. À l'extérieur, en gros, on va pouvoir contaminer quelqu'un en lui parlant fort ou en criant devant une personne à un ou deux mètres. Là, on peut avoir une propagation avec ces 'grosses gouttelettes', de l'ordre d'une fraction de micron, ce sont des particules inertielles en quelque sorte, qui vont se projeter comme des boules de pétanque et atteindre la personne en face. Mais a priori, le risque en termes d'aérosols, qui semble être le risque principal, est très, très diminué quand on est à l'extérieur, donc ça plaide effectivement en faveur d'une ouverture. Évidemment, il faut des règles de contrôle assez strictes. Mais par exemple, des festivals en plein air devraient pouvoir redevenir possibles à l'arrivée des beaux jours et les événements sportifs aussi. Encore une fois sous contrôle. Il faut faire, peut-être, un tout petit peu attention aux lieux intermédiaires, c'est-à-dire les lieux de passage, les caisses, etc. Il y a toujours des lieux un peu confinés. Je pense au Stade de France, par exemple, ou au Parc des Princes. Donc là, il faudrait des contrôles, peut-être un peu stricts, mais disons au moment du match lui-même, on est dans un lieu quand même qui est d'une hauteur sous plafond infinie. Et donc là, on est dans des situations a priori très favorables."

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