

S'adressant à la sociologue Irène Théry dans sa chronique du 18 avril 2013, à quelques jours de la légalisation du mariage pour tous en France, Brice Couturier fait un état des lieux de ce qui constitue selon Christiane Taubira alors ministre de la Justice, un « changement de civilisation ».
- Irène Théry Sociologue spécialisée dans la sociologie du droit, de la famille et de la vie privée, directrice d'étude à l'EHESS
Le climat politique se tend. L’insulte tient lieu d’argument. Des groupes d’excités attendent les personnalités qui leur déplaisent à leur descente de train, pour les insulter ou leur cracher dessus. Si encore, ces manifestations monstres avaient pour enjeu la meilleure manière de tirer le pays de sa dépression économique, d’imaginer une manière de sortir 3 millions de nos compatriotes du chômage où ils s’enfoncent, on pourrait comprendre. Mais lorsqu’on apprend que la cause de tout ce tumulte est un projet de loi, légalisant la possibilité offerte à deux personnes de même sexe de s’unir par les liens du mariage, on reste songeur.
"Chaque époque a les affaires Dreyfus qu’elle mérite"
Il est devenu très difficile d’en débattre rationnellement. Chaque époque a les affaires Dreyfus qu’elle mérite…. Les camps en présence ont tôt fait d’invalider les arguments qui risqueraient d’ébranler leurs propres certitudes en calomniant leur adversaire. Les opposants au projet de loi sont traités d’homophobes et frauduleusement assimilés aux agresseurs d’homosexuels. Ses partisans, quant à eux, sont soupçonnés de vouloir introduire – rien de moins – le mariage à trois, voire l’inceste en tous cas de chercher à de miner de l’intérieur l’institution millénaire.
Il faut le répéter : il est parfaitement légitime d’être favorable, comme défavorable à une loi dont la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a estimé qu’elle constituait un « changement de civilisation ». Et il est scandaleux de s’indigner, comme l’a fait le rapporteur de la loi, au Sénat, lorsqu’on réclame de savoir dans quel sens ont voté – à main levée – les sénateurs, vendredi dernier. Les citoyens n’auraient donc plus le droit de savoir comment votent leurs élus ? Bel exemple de transparence !
Puisque la personnalité invitée figure parmi les pro, permettez-moi de citer une philosophe, qui ne passe pas pour une catholique intégriste d’extrême-droite, Sylviane Agacinski, Madame Lionel Jospin : « Le principe d’un mariage ouvert à tous les couples rassemble très largement les Français. Oui, il est possible d’instituer un mariage entre personnes du même sexe. Cette innovation est souhaitable, puisqu’elle contribuera à assurer une pleine reconnaissance sociale aux couples homosexuels qui l’attendent. Mais elle transforme la signification de l’ancien mariage, dans la mesure où son principal effet était la présomption de paternité de l’époux, qui n’a pas de sens pour un couple de même sexe (...) Dans ce contexte, la véritable égalité serait d’appliquer à tous les mêmes droits : celui de se marier, pour les adultes, et pour tous les enfants, une filiation établie selon les mêmes critères et les mêmes règles. Or tel ne serait pas le cas si l’on distinguait une « homoparentalité » et une « hétéroparentalité », à savoir deux parents de même sexe ou de sexe différent."
Et la philosophe de se prononcer POUR le mariage homosexuel, mais CONTRE l’homoparentalité. Rejoignant ainsi une opinion très largement majoritaire dans le pays, mais peu entendue par ses représentants : selon le dernier sondage sur le sujet, CSA pour BFMTV, 53 % des sondés sont favorables au mariage homosexuel (dont 22% le sont même tout à fait) contre 42 % qui y sont opposés mais à l’inverse 56 % sont opposés à l’adoption d’enfants par des couples homosexuels (dont 38 % tout à fait opposés), face à 41 % qui sont pour. Quel besoin le projet de loi avait-il de mêler ces deux affaires ? Au Portugal, par exemple, le mariage homosexuel est légal, l’adoption par les couples homosexuels, interdite.
Rappelons que la PMA et les mères porteuses ne figurent pas dans le projet de loi. La loi actuellement débattue écarte donc la location de ventres et les enfants « fabriqués à la demande », pour reprendre les mots de Sylviane Agacinski. Mais cette dernière s'inquiète de voir les ministre déléguée à la famille, accorder, par circulaire, des certificats de nationalité française à des enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Ce qui constitue une bénédiction pour ceux qui ont décidé de contourner la loi et de donner suite à leur « désir d’enfant », sans s’interroger davantage sur les droits de ces derniers. Vous-même, Irène Théry, vous êtes prononcée pour la Procréation Médicalement Assistée pour autrui. Le « modèle biologisant », celui dans lequel la complémentarité des sexes s’avère nécessaire à la procréation, vous semble-t-il dépassé ? Brice Couturier
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