Dans le dernier numéro de la revue Books, on trouve la traduction d’un article, paru dans la New York review of Books, intitulé, « Koons, pour le malheur de l’art ». Il est signé d’un féroce critique d’art américain Jed Perl, auteur d’un livre récent, intitulé, Magicians and Charlatans: Essays on Art and Culture. Jed Perl s’en prenait avec virulence à l’exposition qui s’ouvre à Beaubourg, lorsqu’elle a été présentée au Whitney Museum de New York. Il décrivait cette exposition comme « un orage parfait ». Au centre de l’orage parfait, écrivait-il, on trouve toujours « un vide parfait. » « L’orage, c’est tout ce qui se passe autour de Jeff Koons : les enchères à plusieurs millions de dollars, les marchands d’art de premier plan, les commentaires hyperboliques des critiques, l’adulation et la controverse, et puis le public qui, naturellement, veut connaître la raison de tout ce tapage. Le vide, c’est l’œuvre elle-même. »
Jed Perl s’irrite surtout de la théorie en vogue selon laquelle Jeff Koons serait un disciple de Marcel Duchamp. Duchamp, écrit-il, « avait le sentiment que l’art était auréolé d’une mystique excessive. » Le ready-made fut donc une manière de désacralisation. Une manière ironique de signifier que les objets les plus triviaux de la vie quotidienne avaient la même valeur que les objets du culte artistique. « Jeff Koons, pour faire simple, écrit Jed Perl, c’est Duchamp avec plein de fioritures ostentatoires. Ce n’est pas joli à voir. Des ready-mades de Duchamp, se dégageait une austérité quasi-monastique. Koons les a engraissés, transformant cette quintessence de l’art pour initiés en une forme d’art infiniment bavarde. » « A mes yeux, poursuit-il, Jeff Koons n’a pas plus à voir avec Duchamp qu’avec le Bernin ou Praxitèle. (…) Les fanfaronnades de Koons sont presque le contraire exact de la retenue de Duchamp . Celui-ci voyait, dans l’art, une « drogue addictive », et il espérait, en quelque sorte, se défaire de cette addiction, avec ses ready-made. (…) Les souvenirs boursouflés de Koons sont exactement ce contre quoi Duchamp voulait mettre en garde : de la drogue super-addictive pour super-riches. »
Tout ça est assez méchant, mais en France, on aime bien taquiner les riches. Et vous l’êtes fabuleusement, vous l’artiste vivant le plus coté de la planète . De nombreux critiques disent, de leur côté : vous pouvez aimer ou détester Jeff Koons, mais c’est l’artiste de notre époque, celui que mérite notre époque. Ce sont les traders de Wall Street et de Singapour qui ont l’argent et qui font et défont les cotes . Jeff Koons, ancien trader lui-même, leur donne l’art qui leur parle : ludique, facile à comprendre, rigolo, ironique, super-léché, lisse et poli. En outre, vous êtes l’artiste le plus en phase avec la mondialisation, la globalisation : vous avez** le génie de la chaîne de valeur** . Vous concevez en équipe, vous avez des bureaux d’étude en amont, vous faites produire à travers le monde, là où c’est le plus judicieux. Je suis sûr que votre service marketing est bien étoffé et capable de déceler les demandes à travers le monde, bien avant qu’elles ne s’expriment.
Problème : on nous a expliqué que l’histoire de l’art, depuis plus de cent ans, avançait à coups de transgressions des codes en vigueur. Qu’il fallait le surprendre le public, le « déranger », le violer dans ses goûts. Vous, au contraire, les flattez. Comme dit Beranrd Blisthène, « Koons aspire à une société débarrassée de la critique, une société réconciliée avec le plaisir partagé ». Ah bon, je croyais avoir compris que l’art avait pour mission de critiquer la société et non d’en célébrer les vainqueurs en s’alignant sur leur mauvais goût.
Lorsque je vous ai interviewé pour le magazine Lui, en janvier 1991, je vous ai demandé si vous ambitionniez de devenir un label international, une marque. Vous m’aviez répondu : « J’ai toujours cherché à communiquer avec un large public. Les artistes d’autrefois murmuraient à l’oreille des rois et ça suffisait pour produire un effet politique sur le monde. Aujourd’hui, le système artistique** murmure à l’oreille de millions de gens, les séduit et les manipule** . » Même Andy Warhol, de son vivant, était un artiste pop, mais apprécié en réalité, d’une élite de branchés. Etes-vous, Jeff Koons, le premier artiste réellement populaire, réalisant l’idéal du « pop-artiste » ? Ou juste une petite folie pour collectionneurs spéculateurs ? Et quel effet cherchez-vous à produire sur le monde, maintenant que vous êtes devenu si mondialement célèbre ?
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