Juger les religions à leurs effets sur les croyants

France Culture
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Le très regretté Christopher Hitchens ne croyait pas à la vie éternelle. C’est dommage, car il était peut-être la réincarnation de Voltaire dans notre étrange époque de retour accéléré vers les Ténèbres et il ne l’aura jamais su. Il était l’auteur de nombreux livres admirables, dont seulement deux nous ont été traduits français, en particulier son best-seller mondial intitulé Dieu n’est pas grand .

Il y réfutait l’argument selon lequel les religions ont un effet apaisant et inhibant sur ceux qui en respectent les lois à travers l’apologue suivant. « Vous sentiriez-vous en plus ou moins grande sécurité si, dans une ville étrangère, arrivaient vers vous un groupe d’hommes, sachant qu’ils sortent d’une réunion de prière ? » Réponse de Hitchens : « Pour me limiter à la lettre B, j’ai fait effectivement cette expérience à Belfast, Beyrouth, Bombay, Belgrade, Bethléem et Bagdad . Et dans chaque cas, je peux affirmer, en précisant mes raisons, que je me serais senti immédiatement menacé si j’avais pensé que le groupe d’hommes qui s’approchait de moi à la tombée de la nuit sortait d’une cérémonie religieuse . » (p. 28) Vous voyez le bonhomme.

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Hitch’, comme l’avait surnommé ses fans, avait fort bien déconstruit le discours de « l’islamophobie ». Il s’agit d’une stratégie, visant à** confondre ethnicité et allégeance religieuse** . De déduire, d’une croyance supposée, une appartenance communautarisée et d’extorquer, à son profit, des droits spécifiques. « Si on place la religion et l’origine ethnique sur le même plan », écrivait Hitchens, on peut insidieusement appliquer à la religion les condamnations qui s’appliquent naturellement au racisme. »

La provocation à la haine raciale est punie par la Loi, chez nous (Loi Pleven), comme dans la plupart des pays démocratiques. Il s’agit donc d’en étendre l’application aux religions, du moins à l’une d’entre elles. Le terme « islamophobie » est ainsi utilisé afin d’exercer un « **chantage moral ** » à l’encontre de quiconque, dans les pays non soumis à l’islam, se risque à critiquer non seulement tel ou tel aspect de cette religion, mais les actes commis en son nom aussi attentatoires soient-ils au socle des valeurs humaines communes. Car, dans les pays effectivement soumis à l’islam, la question ne se pose même pas.

Salman Rushdie
Salman Rushdie
© Radio France - Salman Rushdie

C’est ce que nous montre le livre d’ Anastasia Colosimo, en comparant les situations dans de très nombreux pays du monde. Nous sommes confrontés à une situation toute nouvelle depuis la fatwa lancée, en 1989, sur la tête de Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny . Celui-ci a émis, en effet, l’incroyable prétention d’appeler à appliquer la peine de mort pour des écrits jugés blasphématoires, n’importe où dans le monde, hors des terres considérées comme « appartenant à l’islam ». « Une condamnation du blasphème hors de toute frontière, de toute autorité et de toute durée a constitué la clé de la globalisation du blasphème. »

Ainsi était enclenché un piège redoutable car** en faisant de tout musulman, un bourreau potentiel, on introduisait ainsi, chez les Occidentaux, la peur des musulmans** , et donc leur marginalisation. Celle-ci provoquerait, chez eux, la nécessité de se replier sur des communautés protectrices, redoublant, chez les autres, le sentiment d’avoir affaire à un corps étranger. (p. 57) C’est ce cercle vicieux qu’il faut à présent briser.

A nos yeux d’héritiers des Lumières, ce sont les individus qui sont porteurs de droits, et non les communautés . C’est une chose de demander et d’obtenir le respect pour les croyants, quel que que soit le caractère plus ou moins fantaisiste et irrationnel du contenu de leurs croyances, aux yeux de ceux qui ne les partagent pas. C’en est une autre d’exiger que les religions en tant que telles - et à la différence des idéologies auxquelles elles ressemblent -, soient soustraites à la critique . Car enfin, à quel titre ? Imaginez que le communisme et le libéralisme aient réclamé de voir sacralisés leurs textes fondateurs, sous prétexte que les discuter ferait insulte à leurs partisans ?

Comme le regretté Christopher Hitchens, plutôt que de perdre un temps précieux à discuter de leurs dogmes, efforçons-nous plutôt de juger les religions à travers les effets qu’elles exercent sur leurs adeptes . Après tout, c'est ce que l'on fait avec les écoles thérapeutiques, auxquelles elles ressemblent par tant d'aspect. Favorisent-elles ou non le progrès des droits humains ? L’innovation technique, qui améliore, ici-bas, la vie des hommes ? La compréhension entre les peuples et les progrès de la paix ? La sagesse et la tolérance ? C’est à cette aune-là qu’il convient de juger les religions. Toutes les religions, sans en excepter aucune.