Le 7 janvier de l’an dernier, les frères Kouachi assassinaient 12 personnes à Charlie Hebdo. Le même jour, Amedi Koulibaly abattait quatre personnes à l’hypermarché cacher de la Porte de Vincennes. Le 11, nous étions plus de quatre millions à défiler dans les rues en chantant la Marseillaise. Pourquoi de telles manifestations n’avaient-elles pas eu lieu après les attentats commis contre des enfant juifss, le 19 mars 2012, par Mohamed Merah , à l’école Ozar-Hatorah de Toulouse ? Ou encore, après les crimes commis au Musée juif de Bruxelles par Mehid Nemmouche ? Voire même, dès la séquestration et le meurtre d’Ilan Halimi par Youssouf Fofana en janvier 2006, alors que la motivation antisémite était clairement assumée par le chef du gang des barbares ? Et quelle part tenaient la série de ces crimes antisémites dans notre indignation collective du 11 janvier ?
Quinze ans de solitude. Tel est le titre du livre récemment publié par Shmuel Trigano, sociologue et philosophe, qui avait créé, en 2001, un Observatoire du monde juif. Il avait relevé, dès cette époque, une montée des agressions visant les Juifs dans notre pays. Et il témoignait du sentiment d’abandon ressenti par eux, face à ce phénomène inquiétant. Le phénomène date, en effet, de l’année 2000 qui constitue à cet égard un tournant. Mais, comme le relève Trigano, à cette époque, il a fait l’objet d’un déni, d’une dissimulation, tant de la part des médias que des pouvoirs publics . Un ministre de l’Intérieur de l’époque, Daniel Vaillant a reconnu après-coup que ce silence avait été motivé par le souci de « ne pas jeter de l’huile sur le feu ».
« On ne parla pas d’antisémitisme », dit Shmuel Trigano, dans une interview », « car ce dernier ne pouvait émaner que de l’extrême droite et pas de la population immigrée – ce que prouvaient pourtant les faits – mais de «** tensions intercommunautaires** »,** ce qui laissait entendre que les victimes étaient autant coupables que les agresseurs** , et de fait, le mythe d’une communauté juive s’installa dans les médias. Puis, on parla de « conflit importé », opposant « deux communautés ». Il a fallu attendre le massacre de Toulouse pour que le caractère franco-français de cet antisémitisme soit reconnu, du bout des lèvres. » (fin de citation)
Un certain sociologue du nom de Guillaume Erner a montré dans un essai fort éclairant, Expliquer l’antisémitisme, qu’on ne pouvait pas rendre compte de toutes les manifestations de la haine envers les Juifs à travers l’histoire en les ramenant à une sorte d’essence éternelle, ni à une seule, théorie, trop passe-partout pour être éclairante – celle du bouc émissaire. A cet égard, écrivait-il, le mot antisémitisme lui-même est trompeur. Il renvoie, en effet, à une « théorie des races » formulées à la fin du XIX° siècle et responsable de la Shoah, mais tombée aujourd’hui dans une heureuse désuétude.
C’est pourquoi Pierre-André Taguieff, qui, l’un des tout premiers, avait mis en garde dès 2002 contre la montée d’une hostilité aux Juifs toute nouvelle, avait titré son étude, La nouvelle judéophobie. Ce n’est plus le « sémitisme » qui est diabolisé, dit-il, mais le « sionisme », fantasmé comme superpuissance mondiale occulte. Le paradoxe, en effet, selon Taguieff, c’est qu**’une partie des nouveaux ennemis des Juifs se réclament… de l’antiracisme** . On l’a bien vu lors des émeutes de juillet 2014, à Paris comme à Sarcelles, où des manifestations pro-Hamas ont été l’occasion d’attaques contre des synagogues et des commerces réputés appartenant à des Juifs. Y participaient des militants d’extrême gauche, qui n’hésitent pas** à collaborer avec des islamistes radicaux** , malgré leurs programmes ultra-conservateurs sur le plan moral, ouvertement misogyne et homophobe, dans une même diabolisation d'Israël.
Depuis, le discours du pouvoir politique a nettement changé. Manuel Valls a dénoncé** « un antisémitisme d’une forme nouvelle, qu’il est hors de question de nier ou de cacher, et qu’il faut regarder en face ** (…) qui cache sa haine du Juif derrière un antisionisme de façade ».

Mais la société ? Le gouvernement a réagi avec courage, en faisant garder militairement les écoles juives, refuge d’enfants trop souvent harcelés dans le circuit public, et les synagogues. Mais cela contribue à isoler, comme dans un ghetto, les Juifs français, qui constatent, avec tristesse qu’il semble plus facile, dans un pays comme le nôtre, de faire disparaître la kippa que la burqa…. Alors que la seconde, contrairement à la première, constitue un geste d’hostilité envers notre pays. Depuis, on apprend que le nombre de Juifs quittant une France, trop dangereuse, pour Israël, est en forte augmentation. Et en lisant la presse étrangère, on apprend que nombre de familles juives quittent Paris, Marseille, pour des villes plus sûres, comme Londres, New York, Montréal.... Où en sommes-nous arrivés pour que, 60 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale et de l'Occupation, les Juifs de France, sur lesquels notre pays a toujours su pouvoir compter, en soient réduits à abandonner leur pays ?
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