Il y a 15 ans, la grande majorité des Etats européens étaient gouvernés par la gauche. Aujourd'hui, la majorité des partis de gauche sont dans l'opposition. Pourquoi ?
Souvenez-vous : Il y a 15 ans, les partis sociaux-démocrates étaient au pouvoir pratiquement partout en Europe. Et surtout, les idées de gauche étaient hégémoniques. Pour conserver quelque chance de gagner des élections, les candidats de droite n’avaient d’autre choix que de s’aligner sur des thématiques de gauche. Chez nous, en France, Jacques Chirac avait été élu président en promettant de mettre fin à la « fracture sociale ».
Aujourd’hui, c’est le contraire : la gauche est presque partout dans l’opposition. Lorsqu’elle est associée au pouvoir, comme en Allemagne, c’est en tant que junior partner. Dans les pays d’Europe centrale, autrefois communistes, c’est la droite qui gouverne, à l’exception de la République tchèque où les sociaux-démocrates ont dû former un gouvernement avec des libéraux et des démocrates-chrétiens. Le cas-limite est la Pologne où la diète ne compte plus un seul député de gauche. Comment en est-on arrivé là ?
C’est peut-être pour répondre à cette question, que François Hollande a réuni, à l’Elysée, jeudi et vendredi dernier, 17 dirigeants de la gauche européenne. On relevait la présence d’Alexis Tsipras, qui fait désormais « partie de la famille ».
« La gauche européenne est actuellement divisée en deux camps », écrit dans l'hebdomadaire anglophone Politico, le journaliste français Pierre Briançon : « l’une qui perd les élections, l’autre qui n’est pas intéressée à les gagner. » La raison ?
Sur les grands sujets d’inquiétude du moment, les partis sociaux-démocrates n’ont pas grand-chose de neuf à proposer. A propos de la vague migratoire, du terrorisme, ou de la Russie, ils sont aussi désemparés que la droite et ne parviennent pas à s’en distinguer. Tandis qu’en interne, ils sont contestés par des courants critiques qui réclament des mesures radicales, ils sont concurrencés, à l’extérieur, par des mouvements populistes qui leur disputent leurs électeurs. Lorsque les partis de droite sont désavoués, comme en Irlande, ou quand ils souffrent d’érosion, comme en Allemagne, ce ne sont pas les sociaux-démocrates qui en bénéficient. Les rares chefs de gouvernement issus de la gauche qui demeurent populaires s’efforcent, comme Matteo Renzi, de gommer tous les marqueurs traditionnels de gauche de leur discours. Qui niera que c’est également le cas de Manuel Valls en France ? Quant au Labour britannique, il est plongé dans une telle crise d’introspection qu’on voit mal comment il pourrait ne pas perdre une 3° élection consécutive.
A cela, plusieurs raisons. D’abord, les sociaux-démocrates ont perdu le relai avec la société que leur offraient autrefois les syndicats. Ensuite, les réformes sociétales, par lesquelles certains ont cru remplacer les avancées sociales, telles que l’ouverture du mariage aux homosexuels, ou le droit à l’avortement, sont réalisées presque partout ; et elles n’ont guère bénéficié à la gauche. Surtout, la gauche a renoncé aux programmes keynésiens de relance – la monnaie unique interdit les dévaluations ; le niveau d'endettement des Etats est tel qu'il est devenu difficile d'alourdir encore les déficits budgétaires. Si c’est pour faire la même chose que la droite, juste un peu mieux, comme ils le promettent, l’électorat n’est pas intéressé.
Ce qui conteste les partis sociaux-démocrates, ce sont des OVNIs politiques, tels que Podemos en Espagne, issus de la société civile. Mais sont-ils désireux de participer au pouvoir, en s’alliant avec les partis de gauche classiques ?
David Bailey, un universitaire britannique, dans une étude intitulée « La fin de la gauche européenne », avance une autre série de raisons. A travers l’Agenda de Lisbonne, adopté en mars 2000, les 15 (à l’époque), avaient pris la décision de faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus performante du monde. L’Agenda était accompagné d’un engagement à créer des emplois hyper-qualifiés et à coordonner d’ambitieuses politiques sociales. Le fiasco est devenu évident cinq ou six ans plus tard. L’Europe économique se traîne. Quant à l’Europe sociale promise, elle a alors été perçue comme une « carotte », destinée à faire accepter les mesures de libéralisation auxquelles les partis sociaux-démocrates s’étaient associés.
C’est pourquoi, estime Bailey, contre toute attente, la crise de 2008 n’a pas servi les partis de gauche. Lorsqu’ils étaient aux affaires, ils ont été sanctionnés sévèrement par l’électorat : voyez le PSOE espagnol. Quant au PASOK grec, passé en 5 ans de 44 % à 4 % des voix, cet acronyme a fourni un néologisme, fort couru au Parlement européen : la PASOKification.
C’est le destin qui menace aujourd’hui tous les partis de gauche européens traditionnels.
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