Contre le chômage, on a tout essayé, disait, désabusé, François Mitterrand, à une époque où la France comptait deux fois moins de chômeurs qu’aujourd’hui. En réalité, si la France a - proportionnellement à sa population -, deux fois plus de chômeurs que l’Allemagne, l’Autriche, ou le Royaume-Uni, cela résulte d’un choix politique. Un choix implicite, bien entendu, mais partagé jusqu’à ce jour par tous les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. Ce choix politique, Denis Olivennes, l’actuel PDG d’Europe 1, l’avait décrypté dans un article demeuré fameux, publié dans la revue Le Débat, il y a tout juste vingt ans, sous le titre : « la préférence française pour le chômage ».
Pour le résumer d’une phrase, on dira que la France lui paraissait avoir opté en faveur du le pouvoir d’achat des actifs, au détriment du niveau d’emploi pour la sécurité dans l’emploi de la majorité, au détriment d’une extrême précarité des nouveaux venus et des outsiders, qui servent de variable d’ajustement.
Ce système a fonctionné parce que les gouvernements successifs ont eu recours à des stratagèmes pour en dissimuler l’injustice : le "traitement social du chômage" plutôt que la dynamisation de l'économie réelle. Des centaines de milliers d’emplois aidés ont ainsi été créés, à chaque changement de gouvernement, pour faire croire à leurs bénéficiaires qu’ils mettaient un pied dans le marché du travail. Mais il ne fonctionne plus : les contrats aidés relèvent de plus en plus ouvertement de la prestidigitation , puisqu’ils sont cantonnés dans le secteur non-marchand (on parle d’un demi-million de personnes), contre 40 000 dans le secteur marchand. En outre, la protection des insiders est devenu un leurre, quand plus de 84 % des embauches, aujourd’hui, se font en CDDs.
A la rentrée 2012, François Hollande, récemment élu président de la République, s’était engagé à inverser la courbe du chômage dès l’année 2013 . De conférence de presse en interview, il ne cesse de déclarer que la lutte contre le chômage est sa priorité. Prenant conscience de ce que le coût global du travail est anormalement élevé en France, du fait d’un niveau de prélèvements sociaux excessifs, il a mis en place le CICE, afin de le compenser. Or, à ce jour, l’échec est patent : les allègements de charges sociales, si elles ont sans doute compensé les hausses d’impôts, n’ont pas servi à embaucher – contrairement aux promesses du patronat. Depuis l’élection de François Hollande, la France compte un demi-million de chômeurs de plus .
Des déclarations récentes d’Emmanuel Macron, ministre de l’Economie et du Premier ministre, Emmanuel Valls, on peut déduire qu’une grande réforme du marché du travail est sans doute dans les cartons.
On sait assez bien ce qu’il serait souhaitable de faire pour mettre fin au scandale social que constitue le chômage de masse. Bien des experts se retrouvent sur les mêmes préconisations, le dernier en date est l’ancien l’ancien Délégué général à l’emploi et à la formation professionnelle, Bertrand Martinot, auteur de « Chômage : inverser la courbe ».
Mais cela exige un courage politique dont aucun dirigeant n’a été capable depuis 35 ans.
Abaisser le coût du travail des moins qualifiés , qui est l’un des plus élevés en Europe – quitte, bien sûr, à ce que la solidarité nationale compense le manque à gagner, comme c’est déjà, en partie, le cas. Mettre fin à l’hypocrisie des stages, en leur substituant un SMIC-jeunes , car dans leur majorité, les jeunes ne sont pas employables et doivent être formés. Développer l’apprentissage, qui fait la force de l’économie allemande. Rationaliser la politique de l’emploi, écartelée à l’heure actuelle entre de trop nombreuses administrations qui éprouvent bien des difficultés à se coordonner entre elles. Réformer la formation professionnelle , afin qu’elle bénéficie en premier lieu à ceux qui en ont le plus besoin - les chômeurs. Retirer à la justice la responsabilité de se prononcer sur la légitimité des licenciements : lorsque ceux-ci deviennent trop aléatoires et coûteux, les entreprises hésitent à embaucher. Enfin, réunifier les salariés en adoptant le principe d’un contrat de travail unique , porteur des mêmes droits pour tous, proportionnels à leur ancienneté dans l’entreprise.
C’est seulement lorsque ces mesures auront été prises que l’on pourra discuter d’une réforme des modalités de l’indemnisation du chômage qui est, sans doute, un peu plus généreuse en durée que dans les autres pays européens – mais qui l’est pour de bonnes raisons, dans un pays qui a délibérément choisi de maintenir plus de 10 % de sa population active hors de l’emploi et où la chute dans le chômage se révèle bien souvent définitive...
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