Les Idées claires : Lundi 25 janvier 2016

France Culture
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Quel raz-de-marée conservateur ?

Ne pas confondre Marc Crapez avec Marc Crépon… Le premier, notre invité, ce matin, est de droite, le second de gauche. Marc Crépon – celui qui est de gauche, donc et dirige le Département de philo de l’Ecole Normal Supérieure – écrivait il y a quelques temps dans Le Monde (quotidien des intellectuels de gauche) : « Il n’est désormais plus possible d’ignorer l’omniprésence envahissante des intellectuels de droite, avec leurs fantasmes identitaires, sécuritaires, leur obsession du déclin et leur goût apeuré de la « catastrophe » annoncée. Ils envahissent l’espace public. On ne voit qu’eux. »

En effet, les laboratoires de la rue d’Ulm, comme les salles de rédaction de la bonne presse progressiste bruissent d’une rumeur persistante : l’intellectuel de droite serait de retour. Il soufflerait sur l’Hexagone un vent, que dis-je une tempête, conservatrice. Même la gauche de gouvernement se droitise – la preuve, elle partage les « fantasmes sécuritaires » des intellectuels de droite. Qu’en est-il ?

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Si la droite littéraire a survécu aux deux guerres mondiales (Valéry, Proust, Claudel, Morand, Nimier, Jacques Laurent, Philippe Muray), la pensée conservatrice, elle, avait pratiquement disparu du paysage, dès la fin de la Première guerre mondiale. Une jeune droite – les « anticonformistes des années 30 - a bien tenté un de la renouveler en profondeur, en lui donnant le cachet « révolutionnaire » dont cette époque était friande. Mais les compromissions de nombre de ces jeunes-droitiers avec la Révolution nationale de Vichy les a disqualifiés.

Assiste-t-on aujourd’hui à l’émergence d’un authentique conservatisme français, cette famille d’esprit réputée, chez nous, introuvable ?              Il y a, c’est sûr, une crise de la pensée de gauche. Mais une pensée de droite ?

La gauche est déstabilisée parque ses fondations conceptuelles ont été ébranlées par l’histoire : nous savons à présent qu’il n’existe aucune « loi » en vertu desquelles le socialisme devrait inéluctablement résulter des contradictions internes du capitalisme. En Europe centrale, au cours des années 1990, on a vu que l’inverse avait plus de chance de se réaliser : la transition au capitalisme, celle que personne n’avait prévue... 

L’idée même de progrès – au sens où les découvertes de la science devaient apporter, du même mouvement, des améliorations concrètes dans la vie des hommes et leur perfectionnement moral, est en faillite. Elle est devenue risible, après la découverte des usines de la mort nazies ; mais peut-être même dès la Première guerre mondiale, lorsque des savants allemands ont mis au point les gaz de combat. 

Nous savons appris aussi qu’un gouvernement, aussi bien intentionné soit-il, ne saurait nous « _changer la vie _». Nous nous méfions désormais des projets, même grandioses et « éclairés », de « transformation de la société ». Enfin, nous savons que les gouvernements de gauche ne sont pas nécessairement mieux équipés que ceux de droite pour enrayer la montée du chômage de masse et l’extension de la misère. Ce n’était pas donc pas une affaire de mauvaise intention, mais de mauvaises politiques… 

Aussi la gauche a-t-elle remplacé le progrès par le «changement », comme le fait remarquer Jean-Pierre Le Goff, dans une interview parue dans dernier numéro de la revue Le Débat, intitulé – signe des temps - : « Conservateur, moderne et social ».

Le progrès postule une direction, explique Le Goff. Le changement ne peut guère invoquer pour lui que la nécessité de d’adaptation. Or, la technocratie qui nous gouverne n’a rien d’autre à nous proposer qu’une « fuite en avant » confondue avec la modernité. « Individus et collectivités sont constamment sommés de rattraper un retard qui paraît sans fin », dit-il.

Ce changement est sans cap, parce que les ressources de notre héritage culturel ont été jetées aux orties. Il y a « rupture dans la transmission », « le continuum historique est rompu », le passé est déprécié, ou réduit à la litanie des fautes commises par nos devanciers. » Sans passé mobilisable, *qui nous aurait permis_ de donner un horizon de sens à l’histoire que nous vivons, nous naviguons à vue._* C’est pourquoi le futur semble indéchiffrable.

Entre la repentance qui désarme et le ressassement d’un passé muséifié, Le Goff plaide pour un concept emprunté à Paul Ricoeur : « l’identité narrative ». Une identité qui donnerait sens aux évènements, tout en indiquant les « **potentialités inaccomplies ******»* du passé*, comme autant de pistes pour le présent.

Cela rappellera aux lecteurs de Claudio Magris sa recommandation « de ne pas trop prendre au sérieux ce qui arrive, de bien nous souvenir que les choses vont ainsi et surtout par hasard, et qu'elles pourraient tout aussi bien aller autrement. » (Danube, p 233) Une idée dont je ne sais pas si elle est de droite ou de gauche…

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