Les journalistes sont-ils tous de gauche ?

Les journalistes, tous de gauche ?
Les journalistes, tous de gauche ? ©Radio France
Les journalistes, tous de gauche ? ©Radio France
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Les journalistes sont-ils tous politiquement orientés et défendent-ils des idées de gauche ? Cette question est au cœur des Idées claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et France Info et destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.

Avec
  • Patrick Eveno Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’histoire des médias, président de l'Observatoire de la déontologie de l'information

Le 6 février 2018, Guillaume Peltier, député et ex-porte parole des Républicains, affirmait sur RMC que, selon une étude, "96% des journalistes avaient voté à gauche en 2012". 

L'étude citée par Guillaume Peltier a été retrouvée par Les décodeurs du Monde. C'est une consultation, menée sur Twitter en 2012 par l'institut Harris Interactive et commandée par la revue Médias, alors dirigée par Robert Ménard (aujourd'hui maire de Béziers élu avec le soutien du FN). Première réserve : la consultation n'a reçu que... 105 réponses. Difficile de parler d'un échantillon représentatif dans ces conditions. 

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Deuxième réserve : François Hollande n'atteint dans cette étude que 31 % des intentions de vote. Si on additionne tous les candidats de gauche, on arrive à 52% et non pas 96%, comme l'affirmait l'ancien porte-parole des Républicains.

Ce n'est pas la première fois que cette étude est citée par un homme politique de droite pour dénoncer une supposée collusion entre les journalistes et la gauche.

Cet exemple illustre pourtant un ressenti aussi vieux que les médias eux-mêmes : les journalistes formeraient un parti des médias secrets qui distillerait ses opinions politiques de gauche dans ses informations. Les médias du service public sont particulièrement visés et sont souvent suspectés d'être "aux ordres" de l'État. 

Nous avons posé la question sur l'orientation supposée des médias et des journalistes à Patrick Eveno, historien des médias et président de l'observatoire de la déontologie de l'information (ODI).

Les journalistes sont-ils tous de gauche ?

Non, tous les journalistes ne sont pas de gauche, mais il y a un paradoxe. On a l’impression quand on est d’extrême-gauche que tous les journalistes sont vendus au grand capital et on a l’impression quand on est à l’extrême-droite que tous les journalistes sont vendus à l’Etat. En réalité, la sociologie du journalisme montre des choses beaucoup plus complexes et diversifiées.

Existe-t-il un parti des médias ?

Le parti des médias, il n’existe pas vraiment. On a une profession très éclatée entre les différents supports, presse, radio, télé, internet, etc. Entre les différents salaires puisque les salaires commencent à 500 euros par mois pour les plus précaires et jusqu’à 100 000 euros par mois pour un animateur célèbre de télévision. Ce qui les réunit peut-être, c’est le fait qu’ils ont tous plus ou moins un diplôme supérieur à Bac +3. C’est peu représentatif de la population française qui en moyenne un bac +1. Les journalistes se veulent des gens qui vont "porter la plume dans la plaie", comme disait Albert Londres. Ils vont faire des enquêtes, ils vont essayer de trouver un moyen de défendre le pauvre, le faible, la veuve et l’orphelin. Ça peut éventuellement les faire taxer d’être de gauche.

Le problème ne vient-il pas plutôt des éditorialistes ?

Les éditorialistes, c’est une petite caste d’une cinquantaine ou d’une centaine de personnes maximum, qui travaillent dans tous les journaux, dans tous les médias français et qui, eux, prennent position. Mais la plupart des journalistes ne prennent pas position quand ils font leurs reportages ou leurs enquêtes. Les gens qui écoutent les éditorialistes savent qu’ils sont engagés, qu’ils ont un point de vue, qu’ils sont là pour ça donc je ne crois pas que ça pèse beaucoup sur le reste des journalistes mais ça peut poser un problème en terme d’image générale de la profession. 

Les industriels qui possèdent les médias contrôlent-ils leur ligne éditoriale ?

Alors ça, c’est aussi vieux que la presse, on pourrait retrouver des phrases de Ledru-Rollin ou Jean Jaurès qui disent que la presse est vendue au grand capital et qu’elle asservit l’opinion. Effectivement, il y a des concentrations dans la presse, il y a des mouvements d’argent, ce n’est pas récent. Souvenez-vous de Hachette Filipacchi ou de Robert Hersant. Les médias sont dans des entreprises privées, il y a une espèce de liaison consubstantielle entre l’économie de marché, la démocratie et la liberté de la presse. Ce n'est pas parce que les journalistes appartiennent à des milliardaires qu’ils obéissent aux milliardaires. J’aime citer Jérôme Lefilliâtre qui écrit dans Libération sur les médias et sur les télécoms et qui fait les papiers les plus vachards sur son patron Patrick Drahi.

Et le cas Bolloré ?

Bolloré, c’est quelque chose de particulier. Il considère que l’information, ça ne l’intéresse pas et que c’est un piège pour Canal+. Donc il veut supprimer et remplacer l’information par de la communication au service de ses affaires. C’est le cas particulier de ce milliardaire qui intervient directement dans la ligne éditoriale de Cnews mais aussi de Canal+.

L’État peut-il intervenir dans la ligne éditoriale des médias publics ?

Je ne crois pas puisqu’à part l’épisode de Sarkozy qui avait fait nommer les présidents de Radio France et France Télévisions par lui-même, les présidences de ces médias ne sont pas nommées par le président de la République ou le gouvernement. Certes, le gouvernement détient les clés de la bourse par l’intermédiaire de la redevance mais les entreprises sont évidemment beaucoup plus libres et elles sont contrôlées par le CSA, un organisme relativement indépendant et qui contrôle notamment le pluralisme des médias audiovisuels.

N’y-a-il pas une sélection sociale dès le recrutement en école de journalisme ?

Ce sont des écoles qui coûtent un peu cher mais pas tant que ça, en moyenne entre 4000 et 5000 euros par an pour 2 années d’études. Ce sont des étudiants qui ont déjà au minimum une licence alors c’est peut-être là où est le biais parce que ce sont souvent des licences de sciences humaines ou de sciences politiques, etc. Il y a un quart de la région parisienne et les trois quarts du reste du pays. Les journalistes sont assez représentatifs de la société française, même si évidemment, ils s’en détachent petit à petit du fait de leur position sociale, beaucoup plus valorisée que leur salaire.

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Parce que la vérité est plus lente que le mensonge, parce que la  désinformation est plus séduisante que l’information vérifiée, Les Idées claires démêle le vrai du faux. Chaque semaine, dans une vidéo et en podcast, un.e expert.e et Nicolas Martin (producteur de La Méthode scientifique sur France Culture) remettent de l’ordre autour d’une idée reçue. Retrouvez l'intégralité des épisodes dans le dossier "Les Idées claires"

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