Déjà, en 2011, selon l’IPSOS, 80 % des Français estimaient que leur pouvoir d’achat avait baissé, fin 2011. 65 % déclaraient « **ne plus trouver les moyens de joindre les deux bouts ** ». A cette époque, nos instituts publics de statistique persistaient à enregistrer, de leur côté, des augmentations de notre pouvoir d’achat. La différence entre le mesuré et le perçu s’expliquant, en grande partie, par l’augmentation constante des dépenses contraintes (loyers, assurances, abonnements, chauffage, etc.), qui grignotent progressivement la part de celles qui restent à notre réelle initiative. Mais voilà que l’INSEE vient de reconnaître que, pour la première fois en 35 ans, le pouvoir d’achat des Français a effectivement baissé de – 0,4 %, l’an dernier . Et les pronostics pour cette année ne sont pas optimistes.
Les crises occasionnent généralement des modifications dans les comportements de consommation. Ainsi, les chocs pétroliers des années 1970 ont constitué une occasion de mettre en pratique certaines des intuitions de l’après-68 après avoir contesté la « société de consommation » , des groupes ont expérimenté des formes de vie plus simples et plus collectives, non sans influence sur les comportements « main-stream ». Certains ont cru voir dans la mode de cette époque, dans le repli sur le foyer, l’envol du bricolage et du jardinage, des effets d’une disgrâce des consommations ostentatoires . Il aurait été bien étonnant que la crise que nous traversons depuis maintenant 5 ans ne se traduise pas, elle aussi, par des modifications dans nos manières de consommer.
L’un des premiers achats à avoir fait les frais de la crise, c’est l’automobile. Les achats de voitures neuves ont dégringolé de 12 % l’an dernier en France. Mais on observe aussi que, pour la première fois depuis 1966, le nombre de personnes partant en vacances a également entamé une décrue . En 2006, 69 % des Français étaient partis pour un séjour d’au moins 4 nuitées. Ils n’étaient plus que 66 % en 2011. Les chances de départ sont corrélées au niveau de revenu du ménage : selon Francoscopie, 86 % des ménages percevant plus de 3000 Euros mensuels sont partis, cette année-là, contre 63 % seulement des ménages percevant entre 2000 et 3000 euros, et 48 % des ménages situés entre 1000 et 2000 euros.
Face à cette décrue du pouvoir d’achat, les consommateurs mettent en œuvre des stratégies d’adaptation . Ils réduisent en particulier leurs dépenses de loisirs certains sont contraints de limiter leurs dépenses de santé notamment l’achat de lunettes et les soins dentaires, particulièrement mal couverts par la Sécurité sociale. Mais la tendance à consommer moins cher s’impose de manière générale. Elle passe par internet, qui permet de comparer les prix et s’adresser au mieux-offrant de louer les équipements dont on n’a qu’un usage limité. Le low cost fait partie de ces stratégies d’adaptation. **Le low cost ** ne vous donne que le minimum, mais il vous le fournit pour pas cher.
Le low cost est très mal vu en France parce qu’il exerce une forte pression sur la concurrence, notamment une concurrence salariale. Les entreprises nationales ont pu longtemps offrir à leurs personnels des avantages sociaux importants, lorsqu’elles étaient en situation de monopole. Ces personnels voient avec inquiétude arriver la concurrence des offres low cost. On le voit bien dans le transport, où les grandes compagnies nationales, Air France, Sncf, après avoir tenté d’empêché la concurrence, s’y adaptent.
A la faveur de la crise, la lutte des classes, grande oubliée des décennies récentes, fait un certain retour dans le discours sociologique. Marx, qui n’a pas inventé le concept – on peut le faire remonter jusqu’à Platon – y voyait la force motrice déterminante de l’histoire. Mais il en situait le lieu d’application dans les rapports de production. Max Weber distingue, outre ce qu’il appelle les « classes de production », qui sont à l’œuvre dans l’ordre économique, « **les groupes de statut ** », qui s’opposent, pour le prestige, dans l’ordre social.
Si l’univers de la consommation se stratifie en fonction des revenus, si le low cost est une nécessité pour les moins favorisés, comme c’est le cas dans l’alimentation, ne peut-on pas évoquer **une lutte des classes pour l’accès aux biens et aux services de base ** ?
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