Malaise politique en Europe

France Culture
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Il règne un drôle de climat politique en Europe. On assiste à des phénomènes aussi étranges que l’ascension du Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo, en Italie, entraînant l’incapacité du pays à se doter d’un gouvernement la classe politique, empêtrée, se défausse de ses responsabilités sur Giorgio Napolitano, réélu président de la République, bien malgré lui, à 87 ans. En France, l’attention publique est distraite du scandale Cahuzac par le strip-tease financier des ministres et les manifestations pro et anti-mariage gay. Mais l’exécutif est affaibli à un moment où des décisions essentielles doivent être prises. Nos voisins allemands s’en inquiètent, jugeant – je cite die Zeit, traduit par Courrier International – que « (la France) est victime d’un poison paralysant au moment précis où la stabilisation de la zone euro exige une bonne dose de réactivité. » Et d’ajouter : « Quelque chose touche à sa fin. En fait, c’est tout un système social qui, (en France) est à bout de souffle ».

Mais l’Allemagne elle-même, où la chancelière est en tête des sondages et devrait être réélue en septembre, cas pratiquement unique en Europe, l’Allemagne n’émet-elle pas, elle aussi, un signal inquiétant ? Qui aurait prédit un phénomène politique comme le Parti Alternative pour l’Allemagne ?On connaissait déjà le populisme des masses, voici le populisme des technocrates, comme l’écrit Mark Leonard. Des gens assez âgés qui estiment que l’Allemagne risque de se trouver entraînée malgré elle dans la banqueroute d’un ou de plusieurs Etats du Sud de l’Europe et que l’intérêt des Allemands, c’est « une dissolution ordonnée de l’espace monétaire européen ». Le nouveau parti risque fort de cartonner aux élections au Parlement européen. Deux-tiers des sympathisants réunis au congrès fondateur seraient titulaires d’un doctorat.

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Et dans le pays de votre naissance, la Bulgarie, le Premier ministre Boïko Borissov, un ancien policier, nommé en 2009 sur un programme de lutte contre la mainmise des oligarques sur l’économie, a été contraint à la démission par des manifestations monstres contre les hausses des prix de l’électricité, en février. Excellente analyse du politologue Ivan Krastev : la Bulgarie était le meilleur élève de la périphérie européenne. Il a adopté une gouvernance à l’allemande : des budgets quasi-équilibrés, des réformes de structure pour doper la compétitivité, une dette publique ridiculement faible (16 % du PIB). Mais les recettes qui permettent à l’Allemagne de garantir leur niveau de vie à ses habitants, ne garantissent aux Bulgares… que de végéter à leur propre niveau. De même que les Bulgares ne peuvent pas s’acheter des Mercedes et des BMW, ils ne peuvent pas s’offrir non plus des politiques macro-économiques à l’allemande.

Et Krastev de relever ce paradoxe : pendant des décennies, les Etats de l’UE ont été incités à mener des politiques différentes, afin de faire converger leurs économies. C’est depuis qu’on leur réclame de pratiquer tous la même, que les résultats divergent…

Un autre analyste, sur le think tank Centre for European Policy Studies écrit que la crise de l’euro et des dettes souveraines a été l’occasion d’une prise du pouvoir par la BCE et d’un renforcement de la position de la Commission. La BCE contrôle dorénavant les banques de 24 des 27 Etats membres. La Commission a acquis le pouvoir d’imposer des amendes aux Etats qui ne respectent pas les règles budgétaires. Nous avons fait un pas supplémentaire vers un système fédéral et unifié. Mais le contrôle démocratique ne suit pas et les peuples se sentent dépossédés de leur pouvoir de décision. Pas étonnant que les systèmes politiques nationaux donnent, ici et là, des signes de rupture. Que faire, pour éviter une Europe des technocrates ? Une nouvelle mouture du despotisme éclairé ? Comment nous prémunir de l’autre alternative : une conjonction des populistes et des anti-systèmes qui rendraient nos démocraties ingouvernables ?