Le mouvement a souffert de sa surmédiatisation. Il n'a pas enclenché le Grand Soir attendu. Pas même la chute du gouvernement.
Que devient donc cette Nuit Debout de la place de la République, qui a enflammé les médias ? Il serait facile de railler la disproportion entre l’engouement journalistique qui a accueilli ces rassemblements et l’aboutissement pratique de toutes ces palabres nocturnes. Trop de micros ont été tendus à un mouvement qu’Eloïse Lenesley a qualifié dans Le Figaro « d’hétéroclite et désarticulé, ne parvenant toujours pas à tracer une ligne cohérente. »
Alain Finkielkraut, chassé de la place, s’est interrogé, je cite, « sur l’extraordinaire publicité donnée par les médias à ce mouvement. On lui a fait le lancement de Star Wars, alors que c’est une petite kermesse sous cloche. Une petite bulle révolutionnaire au milieu d’une ville complètement indifférente. » Mais Pierre Rosanvallon, qui relevait aussi cette surmédiatisation, n’avait pas tort d’y voir la preuve d’une attente qui ne saurait être celle des seuls journalistes. « Le public aussi, a-t-il dit dans Marianne, attendait qu’il se passe quelque chose ».
Sur le site du Fuffington Post, on relit avec intérêt l’article de Geoffroy Clavel, publié le 30 avril. Il y écrivait : « Faute de plateforme revendicative commune, ou de coordination nationale, rares sont les participants capables de définir les objectifs pratiques des noctambules, si ce n’est la remise en cause globale d’une société jugée inégalitaire et d’un système politique périmé. » 40 jours après, le constat reste d’actualité.
La presse américaine, lorsqu’elle a rendu compte de Nuit Debout, a évoqué le précédent d’Occupy Wall Street. Là aussi, on avait parlé d’un mouvement insaisissable, mi-politique, mi-social, « horizontal », sans leader ni plateforme revendicative. Qui peut prétendre qu’il n’a eu aucune conséquence politique ? Le succès relatif de Bernie Sanders, aux primaires démocrates, est un des effets, au moins indirects, des rassemblements de 2011, au parc Zuccotti.
C’est sans doute ce qui suggère à Gaël Brustier que Nuit Debout aura des répercussions « en 2022, plutôt qu’en 2017 ». Pour lui, « nous assistons à un aggiornamento idéologique », à « un mouvement de recomposition politique et idéologique » dont Nuit Debout et la Manif pour tous sont les deux éléments les plus significatifs, à gauche et à droite.
« Quel était ce moment Nuit Debout ? », s’interrogeait, hier, sur Telos, la sociologue Monique Dagnaud. Elle distingue « un noyau radical » initiateur, inspiré par un syndicalisme de lutte des classes, celui-là même qui s’est manifesté au dernier congrès de la CGT, avec l’appel à la convergence des luttes, le réveil de la fibre anarcho-syndicaliste. Autour de ce noyau, non pas la « convergence » souhaitée à l’origine entre zadistes, ouvriers de Goodyear, professeurs hostiles à la réforme des collèges, mais plutôt des « greffes » successives en formes de « vagues d’ondes » : intermittents du spectacle, partisans d’une agriculture biologique, de la cause animale, des Palestiniens. Bref, « une nébuleuse idéologique mêlant esprit insurrectionnel, écologie et décroissance ».
D’après une étude menée sur place par des sociologues, le public des Nuits-Debouts – entre 1 000 et 2 000 personnes, chaque soir – était majoritairement composé de trentenaires, mais avec une forte proportion de personnes d’âge mûr : 20 % avaient plus de 50 ans. Les médias ont eu tort de le décrire comme « une révolte de la jeunesse sacrifiée ». La jeunesse est bien trop fracturée pour se reconnaître dans un mode d’expression qui aura surtout concerné « la frange des intellectuels précaires ». En moyenne, les participants affichaient un niveau de diplômes élevé et un fort pourcentage était au chômage (1 sur 5). Gaël Brustier, de son côté, parle de « diplômés précarisés et de chômeurs appartenant aux idéopôles, ces métropoles connectées à la mondialisation. »
Politiquement, Nuit debout visait le gouvernement, jugé coupable de vouloir affaiblir les protections sociales des salariés avec la Loi El Khomri. Les « déçus de la gauche » y étaient majoritaires. L’objectif était de faire tomber le gouvernement. Manuel Valls ne s’y est pas trompé, le décrivant dans ces termes, selon Le Canard Enchaîné : « Nuit Debout, qui devait être le nouveau Mai 68, est devenu la Foire de Paris des organisations gauchistes ».
Force est de constater que Nuit Debout, qui a été très loin de mobiliser les foules qui s’étaient reconnues dans le mouvement des Indignados espagnols de 2011, n’a débouché, ni sur le Grand Soir que tant d’observateurs attendaient, ni même sur la chute du Premier ministre. Le mouvement n’a pas rebattu le jeu politique qui se met en place en vue des élections de l’an prochain. Il n’a délivré aucune formule de réenchantement ou même d’approfondissement de la démocratie. Mais on ne peut lui contester d’avoir donné une voix parmi d’autres possibles à un malaise. Et ce malaise ne se dissipera pas avec le retour chez lui du dernier occupant de la place de la République. Restera à balayer les illusions perdues.
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