Cela fait trois décennies que commentateurs et analystes vont répétant que le vote Front national est un vote de mauvaise humeur. Une forme de défoulement protestataire qui ne vaut pas pour adhésion à un programme. Une mauvaise fièvre due à « la crise ».
Or, si l’on excepte le grand siphonage sarkozyste de 2007, les scores du FN aux élections sont en constante progression . Certes, on peut observer qu’en voix, la progression du Front national est faible. Mais le fait est que l’abstention lamine les autres partis et que cela profite au FN, moins atteint que les autres par la lassitude démocratique des électeurs. Aussi, ce parti est-il devenu, très probablement le premier parti de France . L’IFOP, dans son dernier sondage, lui attribue 30 % des voix aux départementales, devant la droite UMP/UDI, à 28 % et la gauche socialiste à 20 %. Les écologistes sont donnés à 7 % et le Front de gauche à 6 %. A des élections départementales ! Ces élections locales, où le FN, qui ne dispose pas d’un vrai vivier de cadres professionnalisés, était censé aborder en position de faiblesse…
D’où un sentiment de panique dans les états-majors des partis de gouvernement. Comment les électeurs peuvent-ils nous faire ça à nous ?
Et d’abord, qui vote pour le Front national ? On connaît le portrait-robot de cet électeur par les instituts de sondage : c’est un ouvrier, un employé, un artisan ou un petit patron. Souvent aussi, un chômeur, une chômeuse, exaspéré (e) de ne pas retrouver de travail. Quelqu’un qui a le sentiment de ne pas posséder le capital culturel et relationnel qui permet aux « autres », aux membres de cette élite détestée de s’en sortir toujours. Car le vote FN est un vote populiste. Un cri de colère poussé à la face des grands par les petits.
La mondialisation favorise les jeunes diplômés dont les compétences peuvent aller s’offrir partout sur la planète. Elle interconnecte, à des continents en développement accéléré, nos métropoles high tec. Mais plus on s’éloigne de ces grands centres urbains, plus grandit le sentiment d’être laissés-pour-compte.
On connaît bien désormais le phénomène péri-urbain, bien décrits par Jean-Christophe Guilluy. Une France souvent pavillonnaire, pour qui l’accession à la (petite) propriété se paye de longues années de remboursements, de longs trajets vers les lieux de travail. C’est « la France des marges et des lisières », selon le député socialiste de Seine-et-Marne Olivier Faure, interrogé par Le Point. "Ils se disent qu’ils ne seront jamais le centre de quoi que ce soit. Ils veulent **qu’on les laisse tranquilles et qu’on leur assure le minimum ** : la sécurité et pas trop d’impôts. »
Eloignés des centres villes et de leurs équipements dont ils ne profitent pas, ces relégués sont, en effet, victimes d’un triple sentiment d’insécurité : insécurité sociale et professionnelle, insécurité physique, insécurité culturelle. Comme vous le dites dans « Le un », Hervé Le Bras, « une méfiance sociale s’est installée . Le voisin est devenu un étranger. » C’est d’autant plus troublant, comme vous le faites observer, dans ces régions du sud et du sud-est, où on bénéficiait autrefois d’une vie communautaire intense. On ne se croise plus guère que, le samedi, à l’heure des courses, dans ces hyper-marchés à l’américaine, ultimes lieux de sociabilité locaux.
De Marine Le Pen, le romancier Julien Suaudeau, auteur de Dawa, écrivait récemment sur Figaro Vox, « Son populisme de tribun de la plèbe a un boulevard électoral, tant qu’elle sera le seul acteur politique de premier plan à afficher de l’empathie pour les anxieux et les déclassés de France. Mais si le vote FN s’apparente à un vote de classe, c’est celui d’une classe qui s’ignore ». Et de redouter, dit-il une «** lumpenisation possible des colères françaises** , avec une sans-culotterie post-républicaine, qui coagulerait tous les désenchantés du sarkozysme et du hollandisme, des bonnets rouges aux quenellistes, en passant par les militants de la Manif pour tous et les prolos abandonnés par la gauche ».
Marine Le Pen peut-elle apporter des réponses à des colères de nature bien différentes les unes des autres ? Comment concilier, en particulier, le FN du Nord-est avec celui du Sud-est , qui semblent exprimer des attentes bien différentes ?
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