Sécurisation des identités et protection des libertés : un équilibre fragile

France Culture
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L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit le sens commun. D’autant, expliquait **Michel Foucault ** qu’au gré du progrès des techniques, la volonté de savoir du pouvoir se rapproche toujours plus du panoptisme : tout voir à tout moment, afin de tout contrôler. Le fantasme du savoir absolu. Etre informé à tout moment de chacun de nos faits et gestes, suivre chaque citoyen à la trace – quel Etat n’en a pas rêvé ? La carte à puce et les capacités illimitées de stockage et de croisement de l’information apportées par la révolution numérique mettent ce cauchemar à portée de main. Minority Report n’est plus de la science-fiction.

A la base de la Proposition de loi du Sénat, il y a un constat : la fraude aux faux documents d’identité gâche la vie d’un nombre croissant de personnes et pèse lourdement sur le budget de l’Etat. Des personnes dont l’identité a été usurpée par un inconnu se voient poursuivies pour des achats qu’elles n’ont pas fait, sanctionnées pour des délits qu’elles n’ont pas commis ; on leur refuse un passeport au motif que quelqu’un d’autre s’en ait fait attribuer un à leur nom… Quant à la fraude sociale (cumul d’allocations familiales dans plusieurs départements, fausse déclaration de revenus ouvrant droit à la CMU, etc.), elle coûte entre 20 et 40 milliards d’euros chaque année . L’équivalent du « trou de la Sécu » (entre 20 et 25 milliards). La fraude fiscale aussi prospère grâce aux doubles ou triples identités.

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D’où l’idée de créer une carte d’identité à puces , l’une obligatoire, comportant votre état civil, votre photo, votre adresse, vos empreintes digitales, l’autre, facultative, permettant de justifier votre identité pour effectuer des transactions sécurisées en ligne.

Pourquoi pas. Mais en règle générale, une telle masse de données reste rarement inutilisée. Aussi, la loi prévoit-elle la création d’un vaste fichier centralisé, la base TES (pour Titres électroniques sécurisés).

La mise à la disposition de l’Etat d’un tel stock d’informations, ainsi que la possibilité éventuelle de les croiser avec d’autres , pose problème. Aux termes de la loi en discussion au Parlement, il s’agit de « recenser, confronter, vérifier les informations recueillies » afin de traquer et de confondre fraudeurs et usurpateurs d’identité - Foucault aurait adoré ! Mais le risque, c’est que ce serveur administratif, théoriquement destiné à délivrer des cartes d’identité, soit détourné par la police à des fins d’espionnage. La Convention européenne des droits de l’homme a jugé illégale le fait, pour la police, de détenir les identifiants biométriques de personnes innocentes.

Aussi, l’Assemblée nationale et le Sénat (passé à gauche entre-temps, rappelons-le), divergent sur l’usage exact de ce fichier et les réponses qu’il pourra fournir aux questions posées. « Lien faible », pour le Sénat : consulté, la base de données répond que l’empreinte existe, sans préciser l’identité de la personne. « Lien fort », pour l’Assemblée : lors d’un contrôle, l’autorité publique dispose des empreintes digitales de toute la population.

Où placer le curseur entre sécurisation de l’identité et protection des libertés individuelles ? La réponse à cette question est moins évidente qu’il y paraît. Mais on fera remarquer qu’actuellement, ceux qui contrôlent le plus souvent notre identité ne font l’objet d’aucune surveillance ; ce sont les banques, les fournisseurs divers, la poste. On nous réclame souvent la photocopie de nos papiers d’identité et nous n’avons aucun contrôle sur l’usage qui peut en être fait.

Plus grave : connecté à un réseau wi-fi non sécurisé , notre smartphone ou notre textbook rend accessible à n’importe qui nos informations confidentielles. Big Brother, ce n’est plus seulement l’Etat, mais ces réseaux sociaux auxquels nous confions tout ce que nous sommes. Ceux que Foucault appelait « min-pouvoirs » et qui prolifèrent. Quel usage en feront-ils demain ?

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