Le binôme artistique Anne et Patrick Poirier fait sa masterclasse au micro d'Anaël Pigeat. Un entretien à trois voix, sur le travail à quatre mains depuis près de 50 ans d'un véritable duo d'artistes plasticiens, sculpteurs mais aussi et surtout archéologues et architectes.
- Anne Poirier Plasticienne
Avec Bernd et Hilla Becher ou Gilbert et George, Anne et Patrick Poirier ont été parmi les pionniers de ces duos d’artistes des années 1960. Aujourd’hui, on voit apparaître un grand nombre de binômes dans les collectifs et les écoles d’art, il n’est pas rare non plus de les voir se séparer…
Mais le duo Anne et Patrick Poirier, quant à lui, dure solidement depuis 50 ans, et expose dans les plus grands musées : à la Maison européenne de la photographie, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne, au Musée des Beaux-arts de Nantes, Geschichte Institut, Centre Pompidou, ou encore MoMa. Ils ont également participé à la prestigieuse Biennale d’Art contemporain de Venise à trois reprises. Sans jamais se lasser.
Ne faire qu'un
Je n’ai jamais eu l’impression d’être deux. On a vraiment l’impression d’être une seule personne. (...) Par exemple, quand on a demandé à être professeurs, c’était impossible d’être deux. Ça nous était égal d’avoir un seul salaire, mais ça n’était pas possible pour l’administration – c’est là qu’on s’apercevait qu’on était deux. (...) Ce qui distingue notre travail des autres couples qui travaillent ensemble, c’est qu’on n'a aucune spécialisation. Même si Patrick préfère faire certaines choses et moi d’autres, tout est signé ensemble. On considère notre œuvre comme complètement commune et on participe chacun à toutes les étapes de la fabrication et de la réalisation d’un travail ou d’un projet.
Anne et Patrick Poirier
Souvenir d'une rencontre
Après leurs études à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, Anne et Patrick Poirier passent quatre ans à la Villa Médicis de Rome. C’est dans cet endroit propice à la création qu’ils décident de travailler ensemble, d'unir leurs idées et leurs sensibilités, et de signer en commun les œuvres nées de ce partage inconditionnel. Ce ne sont dès lors plus des artistes solitaires reclus dans leurs ateliers en quête d’un langage personnel, mais un binôme de voyageurs qui, ensemble, arpentent le monde et découvrent de nouvelles civilisations. Ils se souviennent de leur rencontre, devant le tableau de Poussin "Et in arcadio ego" exposé au Louvre.
J’avais déjà repéré cette jeune fille. Un jour en allant au Louvre, je tombe sur elle à côté de cette peinture que je trouvais plutôt pas mal. On a commencé à voyager ensemble et c’est là qu’on s’est aperçu que c’était idiot de faire deux choses, chacun de notre côté, et puis, quand même, dans cette école [les Arts Décoratifs] on travaillait en groupe, donc c’était assez logique de travailler à plusieurs. (…) Moi j’étais un peu trop rapide, Anne était plus lente, c’était une manière de s’équilibrer.
Patrick Poirier
J’admirais beaucoup sa rapidité, sa puissance de travail, et puis… il était beau garçon, ça compte quand même ! On s’est mariés en 68, à l’époque où personne ne se mariait !
Anne Poirier
Sonder les traces du passé
Leur œuvre, d’une très grande diversité formelle de médium et d’échelle, porte sur la question de la mémoire, de la lutte contre l’oubli et s'attache à rendre compte de la fragilité du monde, notamment via la forme plastique de l’empreinte. Leur premier grand travail prenait la forme d’une maquette imaginaire en terre cuite de la ville antique d'Ostia Antica, matérialisant à grande échelle (6 m × 12 m) le souvenir de leur déambulation dans cette ville romaine devenue terrain de fouilles. Déjà, leur volonté de sonder les traces du passé les menait à exprimer l'expérience de la perte. Ils ont refusé d’être désignés comme "sculpteur" et "peintre", pour endosser les rôles d’ "archéologue" et "architecte".
On travaille toujours par métaphore. Par exemple avec "Antica" la première grande maquette qu’on ait faite, on était frappés par la ruine. L’idée de ruine n’était pas seulement de prendre le style romain comme modèle d’architecture, pas du tout, c’était une métaphore pour exprimer le temps qui détruit tout, une espèce de grande vanité ou la destruction de l’histoire. Nous étions beaucoup plus proches de l’archéologie et de l’architecture. Si vous vous présentiez comme artistes, vous étiez traités comme des rigolos, aux frontières, c’était très compliqué, tandis que si vous vous présentiez comme architecte et archéologue, vous étiez considérés comme des gens importants, et on pouvait se faire ouvrir plein de portes, comme celles des sites archéologiques. En fait on est des imposteurs ! L’archéologie, ça nous permet de regarder le passé, et l’architecture, de construire aussi. Donc notre travail continue toujours comme ça.
Anne et Patrick Poirier
Un travail à quatre mains
Cela part souvent de voyages et de lieux sur lesquels nous sommes allés. On fait toujours des travaux sur le lieu, parfois ce sont des empreintes avec un papier très léger, quelquefois ce sont des notes, des dessins, ou un plan. On s’attribue le lieu, on y reste, on réfléchit, on collecte tout ce qu’on peut, des plantes, des fragments. C’est un matériel qui reste, qui mûrit et tout à coup il y a quelque chose qui se déclenche, l’un de nous commence. Si on voit que l’autre n’est pas d’accord, ça ne fonctionne pas, on laisse tomber. On n’est pas toujours d’accord.
Patrick Poirier
Réécoute du 22 août 2018
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