Camille Laurens : "Le vertige de la valse, l'étourdissement, c’est l'effet que je veux produire chez le lecteur"

Camille Laurens
Camille Laurens ©AFP - Joël SAGET / AFP
Camille Laurens ©AFP - Joël SAGET / AFP
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Céline du Chéné s'entretient avec l'écrivaine Camille Laurens dans le cadre d'une masterclasse enregistrée à la BnF. Elle revient notamment sur sa conception de l'auto-fiction, un genre dans lequel elle inscrit une partie de son oeuvre et en souligne la valeur conceptuelle.

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Née dans une famille de scientifiques où les livres étaient peu présents, Camille Laurens a découvert le goût de l'écriture à l’école primaire. Elle évoque ses lectures et ses souvenirs d'enfance, notamment sa découverte, grâce à la pédagogie Freinet, du fonctionnement d'une petite imprimerie, à l'origine pour elle d'un rapport très physique au texte écrit.

Si j’essaie de reconstituer le parcours qui a fait de moi une écrivaine, mon premier souvenir remonte à l’école primaire. J’étais dans une école Freinet dans laquelle il y avait une petite imprimerie à l’ancienne, avec des caractères métalliques, et quand on avait bien travaillé, on avait le droit d’écrire un texte, d’en former toutes les lettres, de le signer et de l’imprimer. J’ai un souvenir extraordinaire de ces moments. Graver sur le papier - sinon dans le marbre - mes propres mots, de simples petites phrases poétiques, avoir la sensation que ces mots m’appartenaient, que je pouvais les signer, a été un éblouissement. C’est mon premier souvenir de la découverte de la matérialité de la lettre, de l’empreinte, de la trace écrite. Cela m’a donné un rapport très physique au texte. Camille Laurens

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Passée de mode l'autofiction ? Ringardisée, minorée, cantonnée à un genre féminin ? Camille Laurens revient sur sa conception d'un genre littéraire dans lequel au contraire elle inscrit une partie de son oeuvre et en souligne la valeur conceptuelle.

Le terme s'est vu progressivement associé au féminin. Les auteurs d’autofiction qui sont le plus souvent cités sont des femmes, alors que pour des auteurs qui relèvent clairement de ce genre, comme Philippe Sollers ou Emmanuel Carrère par exemple, étrangement, le terme n'est pas employé. En revanche, pour les femmes c’est systématique : elles sont forcément celles qui déballent leurs petits secrets. Il y a dans ce phénomène médiatique une minoration de l’écriture des femmes qui me scandalise. Encore aujourd'hui dans la presse, l'autofiction est jugée nombriliste, narcissique, le terme est toujours employé en mauvaise part, et beaucoup d’auteurs se défendent d'appartenir à ce genre, même quand leur roman est manifestement autobiographique. C’est devenu le repoussoir total. Je pense au contraire que c’est une notion extrêmement intéressante. L’autofiction, c’est insister sur ce mélange de fiction à l'œuvre y compris quand on prétend parler de soi, c’est l’autobiographie moderne ! Camille Laurens

Écrivaine, mais aussi danseuse, passionnée de danse contemporaine - elle a d'ailleurs co-écrit un spectacle avec la chorégraphe Joanne Leighton, L&L, en 2019 - Camille Laurens confie son rapport au mouvement, au rythme, en particulier celui de la valse, dont elle dit vouloir imprimer le côté virevoltant à ses romans...

A ma courte honte, je dois avouer que j'aime les valses de Vienne, le romantisme du Beau Danube bleu, etc. Je continue à imaginer mes grands-mères et arrière-grands-mères allant au bal, d'après les souvenirs qu'elles m'ont racontés. Ce vertige de la valse, je voudrais le reproduire dans mes livres. Je voudrais que le lecteur soit étourdi, ne sache pas exactement où est la réalité, la fiction, qu’il n’ait pas une "assise" solide, qu’il ne vienne pas dans mes livres en se disant "je vais y trouver des vérités, de la documentation, des choses stables" parce que je vis moi-même dans un univers tellement flou et vertigineux que je ne sais jamais précisément où est la vérité, ni ce qu’est le réel. Camille Laurens 

Hors-champs
45 min

Pour aller plus loin

Bio-bibliographie sur le site de Maison des Ecrivains et de la Littérature.

Ce que ça cache : Camille Laurens évoque son parcours d’écrivain intimement lié à son travail psychanalytique, dans la revue de psychanalyse Le Coq-héron, 2014 (n° 219).

Jutta Fortin : La présence du film muet dans les romans de Camille Laurens In : Le bal des arts : Le sujet et l’image : écrire avec l’art, éd. Quodlibet, 2015.

Littérature et réflexivité : Camille Laurens en dialogue avec Gisèle Sapiro. A voir sur Canal-U.tv.

Conversation entre Camille Laurens et Martine Kahane, conservatrice honoraire au Musée d’Orsay, à propos de La Petite Danseuse de Degas.

Rediffusion du 16 août 2019