Une masterclasse enregistrée en public du théâtre de l'Alliance française. Jean-Marc Rochette se livre sur ses deux passions, la montagne et le dessin.
- Jean-Marc Rochette Auteur de bande dessinée, peintre et illustrateur
"Parcourant la blanche immensité / d’un hiver éternel et glacé / d’un bout à l’autre de la planète, / roule un train qui jamais ne s’arrête. / C’est le Transperceneige aux mille et un wagons. / C’est le dernier bastion de la civilisation."
C’est par ces quelques vers, devenus un véritable mantra pour ses adeptes, que s’ouvraient en 1982 dans les pages du mensuel de bandes dessinées (à suivre), une série mythique, postapocalyptique et désenchantée, devenue un phénomène mondial après son adaptation en film par le génial cinéaste coréen Bong Joon-ho : Le Transperceneige, imaginée par Jacques Lob, et mise en images par Jean-Marc Rochette. Relancée par le film, le train infernal et glacé a poursuivi sa route jusqu’à aujourd’hui, avec d’autres copilotes, après le décès de Jacques Lob, comme Benjamin Legrand et Olivier Bocquet, mais toujours Rochette à la mise en scène. Mais avant même de partir sur ces rails, notre homme s’était déjà fait un nom, avec une créature tout aussi culte, imaginée avec Martin Veyron : un cochon, Edmond de son prénom, icône punk, « lâche, cynique, vulgaire et prêt à tout pour ne pas finir en saucisson », qui infiltrait l’esprit de la contre-culture américaine à la Robert Crumb dans la France giscardienne crépusculaire, et connut même une édition pirate au Chili sous la dictature de Pinochet. Et les animaux, cochons ou pas, ça le connaît, Jean-Marc Rochette, lui qui n’a pas attendu le dérèglement climatique pour être écologiste : le Grenoblois était de toutes les manifestations contre la centrale de Creys-Malville dans les années 70, et a trouvé une solution radicale et délirante à la disparition des bêtes, avec Fred Bernard, dans Himalaya Vaudou : transformer les hommes en animaux.
Je prends beaucoup de liberté sur le scénario. L'intérêt pour moi est le jeu des acteurs, une fois que l'histoire est faite dans ma tête. Nous les dessinateurs, nous sommes des acteurs. Nous devons jouer tous les rôles. Je dois jouer un enfant, une femme, un animal... C'est difficile. Il y a beaucoup de clichés dans les BD, notamment sur les femmes.
J'espère avoir un lectorat populaire.
Il faut dire aussi que des drôles d’oiseaux, il en a dessiné : des Napoléon et Bonaparte aux aventures psychotiques, des Louis et Dico qui s’attaquèrent à Londres, New York et Hollywood avec la complicité de René Pétillon. Rochette a aussi tourné en dérision la cour du Roi Soleil, et illustré très sérieusement le Candide de Voltaire et L’Odyssée d’Homère. Homme des perpétuelles remises en question, il s’est aussi arrêté tout bonnement de dessiner, par deux fois, pour se consacrer pendant de longues années à la peinture. Mais la vérité de Jean-Marc Rochette, peu le savaient en dehors du milieu de la bande dessinée avant qu’il ne fasse son coming out tardif en 2018 avec un magnifique récit autobiographique, et initiatique, Ailefroide altitude 3954, portrait de l’artiste en jeune alpiniste, la voici : Jean-Marc Rochette est un grimpeur avant tout. L’homme qui a arpenté dans tous les sens l’horizontalité d’un train aux mille et un wagons n’aime rien tant qu’atteindre les sommets après en avoir bavé sur des parois abruptes. Pour nous emmener avec lui sur les cimes de sa pratique artistique, nous ne serons pas sans piolets ni crampons. Nous nous appuierons en particulier sur ce livre, mais aussi sur ses deux dernières parutions : Transperceneige Extinctions, avec la collaboration de Matz au scénario, qui raconte les circonstances dans lesquelles la Terre est devenue cet enfer glacé où évolue le train mythique, et Le Loup.
J'ai parfois une vision. Je trouve parfois une image d'un seul coup. J'ai vu le loup qui marchait avec des tripes dans la bouche. Pratiquement toute l'histoire tient dans cette unique scène.
Le Loup est une première œuvre en solo, comme on dit d’une ascension en solitaire, qui raconte la confrontation époustouflante, littéralement à couper le souffle, entre un berger et un loup dans le parc des Ecrins. Le premier a les traits de Jean-Marc Rochette, mais il pourrait tout aussi bien être le second, tant le livre est un ode à la cohabitation entre les espèces, on vous dit que l’homme aime les bêtes. Il est d’ailleurs assez troublant de voir que votre roman graphique autobiographique, Ailefroide, commence précisément par un animal, mais en fort mauvaise posture : un bœuf, écorché. Le Bœuf écorché de Soutine au musée de Grenoble. Et devant, un enfant, vous. Tout vient de là ? Soutine le soutien. Le bonheur de repeindre ce tableau, pour le livre…
La BD est un petit créneau entre le cinéma et la littérature. Il faut le plaisir du trait, de la couleur... Sinon, elle risque d'être happée par le cinéma.
Pour aller plus loin, une sélection de Jean-Marc Rochette :
Site officiel de Jean-Marc Rochette.
Jean-Marc Rochette, invité du 28 minutes d’Elisabeth Quin sur arte-tv.
Comment dessiner Ailefroide, altitude 3954 : leçon de dessin avec Jean-Marc Rochette, sur le site de France Inter.
Interview de Jean-Marc Rochette et Olivier Bocquet, auteurs de l’album Transperceneige (10/2015). A lire sur le site des éditions Casterman.
Entretien avec Jean- Marc Rochette à lire sur le site de critique de BD, age-bd.com (juin 2019).
Trait pour Trait, le podcast BD qui passe aussi à la télé 30 mai 2019 Le Transperceneige et le Loup de Jean-Marc Rochette
Suk Hee Joo : Du Transperceneige de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette à Snowpiercer de Bong Joon-Ho : une inspiration mutuelle entre arts visuels dans le domaine de la science-fiction. in ReS Futurae n° 9, 2017.
L'équipe
- Production
- Coordination
- Collaboration
- Réalisation