Maguy Marin : "Qu'est-ce qu'on fait des autres corps qui ne sont pas dans les canons de beauté ?"

Maguy Marin
Maguy Marin - Tim Douet
Maguy Marin - Tim Douet
Maguy Marin - Tim Douet
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Rencontre tout en douceur avec la grande danseuse et chorégraphe Maguy Marin, dont les convictions et la danse forment un tout indissociable.

Avec

Danseuse et chorégraphe née à Toulouse, Maguy Marin étudie la danse classique au Conservatoire de Toulouse puis entre au ballet de Strasbourg avant de rejoindre l'école Mudra (à Bruxelles), l’établissement pluridisciplinaire de Maurice Béjart. En 1978, elle crée avec Daniel Ambash le Ballet-Théâtre de l’Arche qui deviendra en 1984 la Compagnie Maguy Marin. Le Centre chorégraphique national de Créteil et du Val-de-Marne voit le jour en 1985. Depuis se poursuivent un travail artistique assidu et une intense diffusion de par le monde...

Maguy Marin raconte qu'elle a été inscrite en cours de danse comme beaucoup de petites filles :

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C'était au Conservatoire avec des professeurs très autoritaires. Et pourtant, avec ces exercices de barre, je sentais circuler quelque chose en moi. Assez vite, j'ai eu des sensations corporelles, très difficiles à décrire. Je n'ai pas eu de questionnements là-dessus. Je voulais faire de la danse. Maguy Marin

En 1969, elle est engagée à l'Opéra de Strasbourg, dirigé par Jean Garcia, où elle apprend le métier. 

J'avais 17 ans au moment de mai 1968. Je viens d'une famille d'émigrés espagnols où la politique était importante. Quand je suis rentrée aux ballets j'étais en contradiction totale avec le métier que j'étais en train de faire, le contenu des ballets, le contexte - très hiérarchisé - et ce que je pouvais vivre à l'extérieur. J'ai rencontré des acteurs du TNS. Dans leur travail, ils pouvaient appliquer ce qu'ils vivaient dans leurs vies. Moi, je faisais le grand écart, c'était le cas de le dire. Maguy Marin

Elle fait partie de la première école créée par Maurice Béjart. 

J'avais vu plus jeune "La Neuvième symphonie" au Palais des Sports à Paris. Je n'ai pas réalisé sur le moment ce que c'était. Il y avait beaucoup de danseurs, des femmes avec des formes et des garçons qui étaient des hommes et pas juste des porteurs qui soulèvent des plumes, des figures éthérées. Maguy Marin

C'est en rencontrant les acteurs du TNS qu'elle se rend compte de la puissance de cette conception de la danse : 

A l'école de Béjart, on faisait du rythme, du théâtre, des danses très différentes, du geste vocal, du travail d'improvisation et de composition, du yoga. Il y avait des danseurs qui n'avaient pas de grande formation technique. Il y avait beaucoup d'étrangers du monde entier. Je projetais de danser et de travailler avec des chorégraphes qui m'intéressaient. Carolyn Carlson ou au théâtre Peter Brook, Ariane Mnouchkine, Bob Wilson, Jérôme Savary... il y avait toutes ces façons différentes de faire de la danse ou du théâtre. On voulait rebâtir le monde. Maguy Marin

Au bout de 3 ou 4 ans, Maurice Béjart avait invité des chorégraphes. 8 filles n'avaient pas été distribuées. Et Maurice Béjart lui a demandé d'inventer quelque chose pour elles. "C'est là que je fais ma première chorégraphie. Mais le résultat ne m'a pas beaucoup plu".

Maguy Marin revient sur sa culture espagnole et l'aspect politique de sa danse. Son père était communiste. Sa mère d'une famille de Républicains :

J'étais dans un collège dans le centre de Toulouse, un collège d'enfants de bonne famille. J'étais plutôt en distance avec la culture espagnole. Mais c'est revenu en force par la suite. Il y avait très peu d'enfants d'ouvriers. Je voyais bien que le milieu social n'était pas le même que les autres. L'injustice sociale c'est quelque chose qui m'a toujours travaillé. Ce qui se ressent beaucoup dans le travail que je fais : mais je ne le fais pas exprès. Maguy Marin

Et sur sa manière de créer :

Ce n'est pas une idée. C'est un fatras, avec tout ce qui s'est passé les dernières années, ce sont des situations dans la rue, intimes, des livres, de la musique... et à un moment une inquiétude se dégage de tout ça, une tristesse. Comment on en fait alors une puissance de vie plutôt que de se déprimer ? C'est tout ça qui fait surgir un terrain de travail qui est proposé à ceux avec lesquels je travaille. On échange. Il y a du tâtonnement... Je pars du principe que les mediums par lequel les choses vont passer sont très libres. Ce n'est pas forcément le texte, le costume, le corps. Maguy Marin

Elle parle de son travail sur le plateau avec ses interprètes : "Ils sont très patients, ils savent porter un regard critique mais sans être jamais dans le jugement. Il faut trouver la justesse du geste. Cette patience du travail de recherche fait qu'à un moment donné quelque chose surgit".

En 1981, une pièce la révèle au monde entier : May B. B. pour Beckett, Samuel Beckett :

Je pense que ce qui m'a attiré c'est le rapport aux corps, des corps qui n'arrêtent pas de bouger chez Beckett. Même s'ils sont entravés, dans la terre, en fauteuils roulants... Qu'est-ce qu'on fait des autres corps qui ne sont pas dans les canons de beauté ? J'avais ces questions-là. Maguy Marin

L'injustice sociale, la violence de notre monde, les relations entre nous... c'est toutes ces thématiques qui reviennent de créations en créations. Maguy Marin

Elle explique aussi sa manière de faire face à la réception de ces pièces. Certaines n'ont pas toujours été appréciées tout de suite. May B au début, ou Umwelt : "Des gens sortaient, ils considéraient que ce n'était pas de la danse. Que c'était obscène. Pour Umwelt_, des connaisseurs de danse sortaient et même empêchaient les autres spectateurs de voir le spectacle._ Ha ! Ha ! est une réponse à cette violence, à cette arrogance. 

> Pour aller plus loin, une sélection d'Annelise Signoret 

Site de la compagnie Maguy Marin.

_Entrer, d’un pas, dans le flux de ce monde : Une lecture d’_Umwelt de Maguy Marin. Article de Claudia Palazzolo paru dans la revue des arts de la scène, Agôn. 

Maguy Marin, Denis Mariotte : Un mot à mot avec les moyens du plateau. Article de  Cécile Schenck paru dans Sken&agraphie, n°1, 2013.

Chaîne vidéo de la compagnie Maguy Marin, sur Vimeo.

Bande-annonce du documentaire consacré à Maguy Marin, L’Urgence d’agir, réalisé par son fils, David Mambouch.

L'art n'est pas séparé des êtres qui le font : Rencontre avec Maguy Marin dans l’émission de Marie Richeux, Par les temps qui courent, 01/03/2019.

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