Patrick Chamoiseau : "La première phrase détermine tout le reste, quand elle est trouvée, l’essentiel est fait"

Patrick Chamoiseau en 2002
Patrick Chamoiseau en 2002 ©AFP - Ulf Andersen/ Aurimages
Patrick Chamoiseau en 2002 ©AFP - Ulf Andersen/ Aurimages
Patrick Chamoiseau en 2002 ©AFP - Ulf Andersen/ Aurimages
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Dans cette masterclasse de l'écrivain Patrick Chamoiseau, retour sur son enfance, la naissance de sa vocation, son rapport aux langues et au langage et l'impensable, ce quelque chose qui nous dépasse, nous mobilise et qui nourrit l'énergie déterminante de la toute la création artistique.

Avec

Patrick Chamoiseau est un écrivain né en 1953 à Fort-de-France, en Martinique. Lauréat du prix Goncourt en 1992 pour Texaco, il s'attache depuis 1986 jusqu'à aujourd'hui à réinventer le goût des mots.
Enfant, Patrick Chamoiseau pensait devenir artiste, faire les Beaux-Arts. Il peignait et dessinait sans cesse. Sa mère, soucieuse de son bien-être, a voulu l'inscrire dans un cours d'arts plastiques, mais le prix était trop élevé. Il avait un don réel qu'il exprimait par l'art mais son âme d'artiste était hors d'atteinte. « J’ai continué à peindre, à dessiner sans maître et sans école, en revanche, quelque chose s’est passée durant l’enfance, une période d’imprégnation pour le créateur : j’ai rencontré les livres ». Ses frères et soeurs travaillaient bien à l'école et gagnèrent des ouvrages en récompenses. Patrick Chamoiseau était le dernier de la famille, il restait seul à la maison l'après-midi et fouinant, il découvrit les livres. La lecture devint très importante pour lui, il découvrait un monde incroyable. Les livres devinrent des compagnons d'existence et de vie et il rentra rapidement dans un processus à la base de la création artistique : l'admiration. Il eut envie d'imiter ces poètes, ces écrivains et ces hommes de théâtre qu'il admirait alors... Le rapport aux langues déclencha également l'écriture chez Patrick Chamoiseau. Enfant, le créole était interdit à l'école, il devint muet et cette mutité développa cette approche de la langue par l'écriture. 

Les professeurs ne comprenaient pas comment ce petit garçon négrillon muet que j’étais, incapable d’articuler, pouvait déployer un art de l’écriture, de la narration, lié à mes lectures infinies et constantes.

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Quand Patrick Chamoiseau écrivait, une consistance se créait et le rendait visible, lui qui, "négrillon dernier de la famille, maladif, chétif, pas brillant mais qui lisait beaucoup, ne se distinguait pas particulièrement". Se libérer de la fascination d'une langue dominante reste un enjeu majeur, "la hiérarchie entre les langues et ce mépris à l'encontre du créole menant à l'entropie ; la perte de qualité du créole ne servait plus à dire l'amour, le désir, la beauté du monde, mais se réduisait à un parler canaille pour dire l'argot mais dans ce qu'il avait de plus misérable". Il fallait alors inventer non pas une langue mais un langage pour dire le monde. Dans toute la puissance de son écriture, Patrick Chamoiseau mène l'entreprise d'oser s'approcher de l'impensable et se mesure à ses mystères tout en restant debout.

Un écrivain n’est pas quelqu’un qui va faire chanter la grammaire mais quelqu’un qui va entrer dans la langue, qui va soumettre la langue à une vision, un déraillement de l’esprit, des explorations obscures qui vont produire un langage.

Aujourd’hui, la mondialisation a provoqué le fracas et une mise en contact massive, accélérée et brutale. Elle a libéré l’individu qui se retrouve comme le sapiens primordial, confronté à l’énigme, l’imprévisible de la totalité du monde. Aujourd’hui, avec le degré de connaissance et de conscience, l’esthétique contemporaine, la puissance artistique déterminante, est celle qui permet à une conscience de se construire non pas avec des voiles mais en essayant de se tenir debout face à l’impensable, celui qui a disparu de notre réalité car nous sommes dans un confort communautaire. Alors, lorsque les migrants surgissent, ce sont les monstres qui surgissent du fond de la galaxie. Nous sommes dans une petite bulle qui s’est desséchée d’elle-même et qui nous protège de la complexité du monde et derrière cela, de l’impensable. L’impensable est le propre des grands artistes, ces gens qui le confrontent et nous habituent à lui.

Tous mes romans sont construits à partir de l’impossible : un impossible à dire, un impossible à raconter, une obscurité que je vais affronter par la connaissance sensible et narrative.