William Finnegan : "Journaliste et surfeur, cela ne va pas ensemble, j'avais peur que l'avouer me fasse perdre toute crédibilité !"

William Finnegan
William Finnegan ©AFP - Martin Bureau
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Sylvain Bourmeau s'entretient avec le journaliste américain William Finnegan, Prix Pulitzer pour "Jours barbares", un récit autobiographique dans lequel il raconte une vie passée à écrire, voyager... et à surfer, activité obsessionnelle qu'il a longtemps considérée comme une passion inavouable.

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Le travail de William Finnegan, grand reporter au New Yorker, s’inscrit dans une ancienne tradition journalistique et littéraire, que perpétuent encore certains grands journaux américains, mais que l’on a découvert assez tardivement en France sous le terme de "narrative non fiction". De ses premiers engagements aux côtés des militants anti-apartheid dans l’Afrique du Sud des années 1980 à ses reportages sur la guerre au Salvador en passant par ses enquêtes sur le trafic de drogue aux Etats-Unis, William Finnegan retrace près de quarante ans d’une pratique du journalisme d’opinion, qui tente de réussir le difficile équilibre entre engagement et objectivité. 

William Finnegan : J’adore écrire des éditoriaux, des articles d’opinion mais je dois penser en permanence à ne pas me compromettre en tant qu’enquêteur, à garder une certaine forme d’objectivité pour conserver ma crédibilité. Bien sûr, quand il s’agit d'une opinion politiquement correcte comme le fait d’être contre l’apartheid c’est plus simple. Mais parfois, comme dans le cas de la guerre que les Etats-Unis ont financée au Salvador, c'est un vrai défi. Alors que mes convictions allaient contre cette politique, je devais gagner la confiance des gens et les convaincre que je suis un reporter honnête et que je rendrai compte des faits tels que je les avais observés, même si certains sont en contradiction avec mes opinions. Il faut arriver à combiner ces deux aspects sans être déclaré coupable d'hypocrisie. C’est un jeu d’équilibre permanent.

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Jours barbares, pour lequel William Finnegan a reçu le Prix Pulitzer en 2016, appartient au genre des "mémoires", une œuvre autobiographique qui s’inscrit dans le champ de la littérature tout en mettant au travail un regard journalistique appliqué à soi-même. Mais une autobiographie traversée, organisée presque, par un fil thématique omniprésent : le surf. Au-delà d’une simple pratique sportive, le journaliste revient sur la façon dont le surf est devenu pour lui non seulement un mode de vie mais aussi un mode de connaissance du monde.

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William Finnegan : J’appartiens à la génération hippie, pour laquelle partir parcourir le monde sac à dos après le lycée était un cliché. Le surf a été pour moi un bon moyen de découvrir le monde; il vous permet d’avoir un objectif précis, la vague en l’occurrence, qui vous distingue du touriste. La première fois que j’ai quitté l’Université pour partir surfer, j’y ai été encouragé par un éminent professeur qui trouvait cela formidable de quitter le monde institutionnel et castrateur de l’Université pour quelque chose d'aussi dionysiaque que le surf ! C’était une époque particulière, où les adultes ne se comportaient pas comme des adultes. Et quand je suis revenu, il a été très déçu parce que pour lui ce choix romantique de l’aventure était le bon !

Pourtant, William Finnegan a attendu des années avant d'écrire sur le surf...

William Finnegan : Le surf est une partie très importante de ma vie mais qui est longtemps restée secrète. En tant que journaliste, je pensais que cela m’aurait rendu vulnérable de révéler cette passion à mes lecteurs. J'avais peur de perdre ma crédibilité, que mes interlocuteurs dans les débats auxquels je contribuais sur les politiques publiques américaines, sur la politique étrangère par exemple, se disent que je n’étais qu’un idiot de surfeur et ne me prennent plus au sérieux. Mais en fait c’était une inquiétude stupide. La première fois que j'ai écrit sur le sujet, c'était une commande pour un magazine spécialisé – le portrait d'un surfeur californien extrêmement charismatique, que je connaissais par ailleurs – que j’ai mis 7 ans à écrire ! D'une part parce que j'avais très peur que l’article lui déplaise mais aussi bien sûr parce que je travaillais déjà au "New Yorker" à l'époque et je n’étais pas encore sorti du placard en tant que surfeur. Mais ce très long article a été précurseur du livre parce que je me suis dit que j’aimais écrire sur le surf et que j'en étais capable.

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C'est finalement un coup du hasard qui aura permis à William Finnegan de remonter à la source des ses premiers écrits adolescents, déjà liés au surf...

William Finnegan : J_’étais en train de me demander comment écrire ce livre quand j’ai reçu par la Poste un paquet qui contenait les lettres que j’avais adressées à 13 ans à un ami resté en Californie quand mes parents ont déménagé à Hawaï. Ça a été une vraie madeleine de Proust de relire ces lettres d’adolescent remplies de formules comme "ça déchire" ou "tout déchirer", qui ne parlaient que de filles et de vagues et dont je ne me souvenais plus si elles étaient vraies ou romancées. Retrouver ces lettres a été un incroyable coup de chance et un excellent point de départ pour le livre : elles m'ont forcée à m’interroger sur cette version antérieure de moi-même. _

Les propos de William Finnegan sont traduits par Marguerite Capelle.

Pour aller plus loin, une sélection d'Annelise Signoret : 

William Finnegan écrit pour le New Yorker depuis 1984. Ses reportages sont en ligne sur le site du journal.

Une journée avec William Finnegan, vidéo en ligne sur la chaîne YouTube de La Grande Librairie.

Interview de William Finnegan au Boostore de Biarritz le 16 novembre 2017.

Stéphane Bénassi : La route en marges. Retour sur les mythologies errantes de la culture surf, in Communication & langages, N° 195, 2018.

Les jours barbares, son autobiographie, a reçu le prix Pulitzer en 2016.

Qu’est-ce que la Non-Fiction ? Eléments de réponse avec William Finnegan interviewé par Lionel Tran pour les Artisans de la Fiction (juin 2017).

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