

Spécial dédicace au chef Alain Ducasse qui nous a fait rêver avec ses rougets grillés sur la plage.
Tout ça, c’est la faute d’Alain Ducasse, vous savez le chef multiétoilé. Un jour, on lui a demandé quel serait son plat ultime, il nous a confié sans hésiter : «Des rougets de roche de Méditerranée pêchés en face de Théoule-sur-Mer, non écaillés, non vidés et grillés au feu de bois sur la plage.»
C’est peu dire qu’il nous a mis l’eau à la bouche. Même que nous, on a fermé les yeux dans le métro qui nous ramenait sur les grands boulevards. Tiens, on se perd dans un petit matin vaporeux et silencieux en dévalant un sentier embaumant les herbes du maquis et l’eucalyptus. Le sol est couleur fauve, le sable est encore frais. Les lauriers font des congères de fleurs blanches sous des arches de bougainvillées. On a faim de cette aube dans ce jardin qui ressemble à un premier matin de la Terre. La mer est un songe paisible qui frise comme l’humeur guillerette.
On attend le retour du pêcheur avec un broc de jus de caserne en matant les chats qui flemmardent sur le ponton. C’est fou ce que les greffiers sont ponctuels quand il est question de grailler. La barcasse accoste avec une nonchalance de mère maquerelle. Le pêcheur est un vieux loup taiseux qui vend ses prises comme ça le chante, à qui ça le chante. On ne roule pas des fourneaux devant lui. Quand il donne un coup de menton dans notre direction pour savoir ce que l’on veut ou plutôt suggérer ce qu’il voudrait bien nous céder, on murmure «des rougets» en lui tendant notre sac. Il le prend négligemment, se tourne vers sa malle aux trésors et remonte des petits poissons vermillon sans les peser, ni les compter. Le cabot des mers marmonne : «Ça fera ce que ça fera, vous me paierez la prochaine fois, j’ai les mains trop encombrées ce matin.»
On repart, fier comme un tartarin, avec nos pépites de rouget en songeant au petit bout du monde où on va les griller. Il faut toujours une petite cachette, façon celles de l’enfance et de la Guerre des boutons, pour célébrer les nourritures d’exception. Il faut quitter la corniche saturée du rabotage infernal des cigales pour s’enfoncer dans un dédale de buissons et de roches rousses débouchant sur une calanque déserte que l’on nomme les Galères. On cherche derrière une dalle de pierre la grille noircie qui nous sert de barbecue et que l’on nettoie avec un peu de sable et d’eau de mer. Trois pierres font un foyer. Une grosse poignée de brindilles démarre un petit feu gaillard dont on contemple les flammettes les pieds dans l’eau. Trois gros rondins par-dessus et on pique une tête dans le grand bleu, le temps de faire de la braise. Le sel de la mer nous mord les papilles comme des crocs de faim. Vite, poser les rougets sur la grille ; un aller-retour au-dessous des charbons ardents et c’est la mer en bouche qui vous assaille, charriant des bouchées de bonheur.
La recette !
C'est celle de la magnifique Cuisine des marins de Camille Labro, c’est aux éditions Gründ, où elle conte «les rougets au barbecue» de Boris Obolensky, pêcheur à Ensuès-la-Redonne (Bouches-du-Rhône). «Boris prépare son feu avec du bois et des épines de pin, dans le jardin de sa maison de famille. Il faut que le barbecue soit très chaud, les braises ardentes, pour cuire le poisson. Plus celui-ci est petit, plus il doit être saisi rapidement par une chaleur élevée.
Sur une double grille, préparez un lit de romarin bien frais.
Posez les petits rougets de roche par-dessus.
Arrosez d’un filet d’huile d’olive et d’un peu de gros sel.
Recouvrez les rougets d’une couche de romarin.
Scellez la grille, et cuisez les rougets sur le barbecue, de une à deux minutes de chaque côté.
Dévorez immédiatement (arêtes et têtes comprises).»
L'équipe
- Production
- Réalisation