

Il y a toujours du vécu dans la coquille de ce fruit sec.
Tout d'abord, parlons d'un livre ! il s'agit de « L’exil éternel » d’Angela Rohr aux éditions les Arênes. A priori, cela n’a pas grand-chose à voir avec la bouffe, hein, puisque c’est l’histoire d’une femme qui a passé seize années au goulag.
Née en 1890, Angela Rohr est une femme médecin issue de l'aristocratie autrichienne. Au début du vingtième siècle, elle parcourt l'Europe, fréquente les milieux littéraire, scientifique et politique. Elle s'essaie à l'écriture, étudie la médecine, s'initie à la psychanalyse. Mariée à un communiste autrichien, elle le suit en Union Soviétique pour participer à la construction de la société nouvelle. Ils sont arrêtés en 1941. Son mari disparaît, Angela Rohr est condamnée à cinq ans goulag. À l'issue de sa peine, elle est condamnée à la relégation définitive, l'« exil éternel ». Elle devient médecin à l'intérieur d’un camp. C'est seulement après la mort de Staline qu'elle peut rentrer à Moscou, seize ans après son internement. Elle meurt en 1985, dans la misère, sans savoir que son œuvre lui survivra.
Angela Rohr n’explique pas le goulag, elle le décrit dans un style dépouillé, sans artifices, c’est ce qui rend son récit si bouleversant. Ainsi comme souvent dans les lieux de privation de liberté, elle parle de nourriture avec ses camarades de captivité. Elle écrit : « Ma voisine supportait mal la faim. Elle ne vivait que dans le souvenir d’une tarte aux noix. Avec une extrême politesse, elle s’adressait à moi, à toute heure du jour et de la nuit, en me priant de noter la recette de cette tarte. Je dois avouer que j’avais souvent mangé de la tarte aux noix mais que je ne savais pas la faire. Il aurait été absurde de confier cela à ma voisine, car elle ne m’aurait pas crue. J’énumérais donc tous les ingrédients qu’on pouvait sans doute utiliser. Parfois, elle se taisait un long moment, mais il arrivait aussi qu’elle ne puisse pas s’empêcher de demander presque aussitôt après : « Excusez-moi, combien d’œufs avez-vous utilisés ? » Oui, c’était surtout les œufs qui retenaient son attention. »
Je me suis souvenu de mon grand-père quand il nous ouvrait des «calots» comme il disait. Il avait un petit couteau, de ces lames pointues et effilées qui font ressembler à de grands criminels tous les saigneurs de lapins qui vous promettent un civet divin. Il introduisait la dite lame dans la fente au cul de la noix, tournait légèrement son surin et ouvrait ainsi les noix à la chaîne sous notre regard gourmand de môme. Mais il n’y avait pas que sa dextérité qui nous épatait : on s’étonnait toujours de le voir manger ses noix avec du pain. Alors il nous parlait d’un temps que les moins de 120 ans ne peuvent pas connaître. Celui des nuits glacées d’hiver dans le Morvan à veiller et à dormir dans le foin de la grange avec pour unique frichti, un bol de soupe, une boule de pain et une poignée de calots. Il n’y avait aucune vantardise, aucun héroïsme chez le grand-père. Il disait «c’était comme ça» quand il racontait ses repas de noix comme il soupirait doucement «c’était comme ça» quand on effleurait les minuscules grains de shrapnel sous la peau de son visage blessé à Verdun et au Chemin des dames.
Chez vous, on est sûr qu’il y a forcément une petite histoire sous une coquille de noix. Nous en consommons en moyenne une livre par an et par habitant. Une dizaine de variétés de noix sont cultivées entre le Périgord, le Limousin, le Dauphiné, la Drôme et la Savoie pour une production annuelle française de 35000 tonnes. Elles s’appellent la Marbot, la Franquette ou encore la Grandjean. La noix de Grenoble a été le premier fruit à coque au monde à obtenir une appellation d’origine contrôlée. C’était en 1938.
Une noix desséchée se reconnaît au son que produit le fruit sec quand on secoue la coquille. Préférez donc les noix muettes qui autorisent toutes les initiatives en cuisine : du mariage avec l’endive ou la mâche en salade à l’alliance avec le roquefort et le chèvre en passant par les poêlées de légumes et les tartes.
La recette !
Pour la tarte aux noix, il faut d’abord confectionner une pâte sablée en mélangeant :
-un œuf,
-125 grammes de sucre,
-une pincée de sel,
-puis 250 grammes de farine.
Incorporez 125 grammes de beurre, à température ambiante et en petits morceaux.
Malaxez jusqu’à obtenir une boule homogène et laissez reposer au frais.
Pendant ce temps, hachez au moins 150 grammes de noix que vous mélangerez avec 50 grammes de beurre et 50 grammes de vergeoise ou un autre sucre brut.
Ajoutez 100 grammes de miel et 20 centilitres de crème fraîche.
Etalez la pâte sablée dans un moule à tarte, et répartissez la préparation à base de noix.
Cuisez entre trente et quarante minutes dans un four préchauffé à 200 degrés.
A l’instar du bourguignon, de la daube ou de la choucroute, cette tarte aux noix vieillit très bien dans les jours qui suivent sa confection.
Dégustez-en une lichette avec un café noir ou une vendange tardive.
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