Mille et une vigneronnes

   ©Getty - Mladen_Kostic
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A l’occasion du Salon des vignerons indépendants qui se tient à Paris, portrait de Valérie Guérin du domaine des Mille Vignes dans l’Aude.

Il y a de belles quilles jusqu’au 3 décembre, porte de Versailles à Paris où vous pourrez retrouver plus de mille vignerons qui vous parleront de leur passion pour cette liane millénaire qu’est la vigne.

La semaine dernière à ce micro, on a appelé les hommes à se mettre en cuisine tous les jours. Ce matin, on voudrait rendre hommage à toutes les femmes qui, de la Champagne au Languedoc en passant par le Jura et la Loire oeuvrent dans les vignes, dans les chais et plus largement dans le vaste monde du vin. 

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Parmi elles, il y a Valérie Guérin du domaine des Mille vignes à la Palme dans l’Aude. Ses vins tutoient les caves stratosphériques des trois étoiles, ont conquis l’Amérique par la voix du célèbre critique Kermit Lynch. Sur le papier des guides et des revues spécialisées, cela donne un panégyrique à filer la gueule de bois aux hagiographes de Kim Jong-un. Son « travail est proche de celui de l'artisanat d'art » écrit ainsi la patrimoniale Revue du vin de France dans son Guide 2019 dédié aux meilleures quilles de l’Hexagone.

Valérie Guérin est née dans ces années 60 où le monde du vin ressemblait à une guerre froide entre Bourgogne et Bordeaux avec quelques îlots sacrés dans les autres terroirs. Du plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours entendu parler vin à la maison, son père, Jacques, étant professeur de viticulture et d’œnologie. A la fin des années 70, il a envie de bichonner ses propres ceps et il jette alors son dévolu sur mille pieds de vigne (d’où le nom du domaine) sur la partie maritime de l’appellation Fitou_. « Je me souviens avoir arrosé les plants avec mon petit arrosoir,_ raconte Valérie Guérin. Mon père faisait un vin expérimental avec des copains comme Jérôme Savary [le metteur en scène] qui venait en voisin». Après son bac, la jeune femme préfère les bancs de Sciences-Po Grenoble aux caves obscures et aux raisins sous le cagnard. Elle travaille dans le transport international à Barcelone et à Paris. Avec ses premiers salaires, elle agrandit ce jardin de simples qu’est le domaine des Mille Vignes : 11 hectares, soit 13 parcelles pour 25 000 bouteilles, une paille dans ce Sud qui a eu longtemps la réputation de faire pisser la vigne.

Valérie Guérin a quitté les rails des cadres sup à la quarantaine. 

Aujourd’hui, elle a la liberté de celle qui n’échangerait pour rien au monde ses petites cuves contre un empire de pinardier. Elle cultive au milieu des broussailles que les autres vignerons ont désertées, quitte à laisser sangliers, oiseaux et chevreuils bouffer ses premiers rangs de vigne. Elle bichonne les vieux ceps que les autres méprisent. Elle refuse d’élever ses vins sur le bois des tonneaux, « qui norme les vins et apporterait des épices dont on n’a pas besoin ici. [Ses] vignes voient la mer mais pas le bois». Les omniprésents chardonnays et syrahs, qui font des cuvées lisses et technologiques, sont tricards sur les Mille Vignes où s’épanouissent, en revanche, des cépages d’Apaches sous les crêtes sombres des Pyrénées : on y trouve la malvoisie, le grenache, le carignan, le macabeu, la clairette, le colombard. Elle couve « son conservatoire à la binette». Tout comme elle ébourgeonne à la main entre l’aube et les premières chaleurs du matin. Gestes solitaires, paisibles, qu’elle donne à voir sur son compte Facebook.

Il y a une vraie une philosophie de l’agriculture chez cette vigneronne ?

Valérie Guérin est une vigneronne du peu, voire du renoncement. En 2016, les raisins étaient très beaux mais rares. Elle a renoncé à faire « un blanc qui n’aurait pas eu la typicité des Mille Vignes», laissant aux animaux sauvages les grappes sur souche. Elle prend son temps pour réfléchir dans son maquis sensitif, spirituel, peuplé d’oliviers, d’amandiers, de romarin, d’ail sauvage, de sangliers et de chauve-souris.

Plutôt que de s’agrandir, elle explore sans relâche ses vignes à la manière d’une page blanche où elle esquisse des nouvelles cuvées comme celle issue d’un cépage catalan, le Lledoner pelut, que l’on a eu le bonheur de goûter.

Vous pouvez retrouver Valérie Guérin au salon des Vignerons indépendants où elle vous parlera de ses vins comme autant de petits jardins secrets.

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