L'ustensile et la main

Roulette Crénelée
Roulette Crénelée
Roulette Crénelée
Roulette Crénelée
Publicité

Aujourd'hui on est venu avec un petit ustensile de cuisine : c'est une roulette crénelée pour découper la pâte. Regardez-la bien notre roulette, car elle a connu la seconde guerre mondiale et ça fait plus de 80 berges qu'elle est aux fourneaux.

Elle fait partie de ces ustensiles que l'on se refile de génération en génération, en l'occurence de mère en fils puisque l'on a hérité. Mais, c'est bien plus qu'un bout de mémoire. C'est notre fétiche à nous quand on fricasse. Tout le monde a un outil préféré en cuisine, du gâte-sauce au chef étoilé.

Le chef doublement étoilé Jean Sulpice chérit sa casserole. Le chocolatier Patrick Roger, c'est son couteau qu'il préfère. On sait tout cela grâce aux confidences glânées et aux outils photographiés par Laurent Dupont dans son livre Le prolongement du geste paru il y a deux ans aux éditions Kéribus. "L'outil tisse le lien de ce ménage à trois, entre l'homme, la main et le produit fini", écrit l'auteur passionné de cuisine. Plus encore que le ménage à trois, nous, c'est la relation singulière entre l'outil et la main qui nous captive. Cette main qui épouse le manche du couteau, la queue de la casserole au point de les formater, de les modeler. Vient ensuite le geste et l'habitude du geste qui vont eux aussi imprimer une forme à la lame du couteau, du tranchoir, de la pierre à aiguiser.

Publicité

Aucun duo homme-outil ne se ressemble, c'est pour cela qu'il est si difficile de remplacer le vieil Opinel usé jusqu'à la corde par un autre neuf. C'est pour cela qu'on préfère encore notre vieille cocotte cabossée et calamistrée à un sauteuse flambant neuve. C'est pour cela que dans bon nombre de métiers manuels, on vous dira qu'on bon ouvrier, c'est déjà quelqu'un qui sait d'abord affûter les outils qui lui permettront de raboter une plancher, tailler la pierre et lever un filet de saumon.

Si tout le monde a un outil de prédilection en cuisine, c'est qu'il permet de répéter et d'enrichir à l'infini un geste qui paraît hypercompliqué au profane. C'est parce qu'il a confiance en son couteau japonais que le chef Alexandre Couillon de la Marine à Noirmoutier lève avec une rapidité et une dextérité qui nous étourdit ses filets de poissons. Cette parce qu'on a confiance entre notre vieille roulette qui ne tourne plus rond depuis un bail que l'on continue de former des beignets. Cette confiance-la, aucun robot ménager ne pourra jamais la susciter du moins dans l'apprentissage de vos gestes. Au contraire, les constructeurs vous promettent des engins bourrés d'électronique, chauffant, vibrant, tranchant, mixant, malaxant, bref des machines qui cuisinent à votre place.

Le marketing de ces robots ménagers repose en grande partie sur un malentendu : il prétend que la cuisine, c'est compliqué, que vous êtes une buse sur la planche à découper et que donc que vous avez besoin de ces sacrées machines présumées à tout faire.

Et bien nous, on affirme le contraire, personne n'est nul aux fourneaux. Tout le monde peut s'y coller à condition d'apprendre quelques gestes simples comme émincer un oignon, battre des œufs en neige ou encore braiser une viande.

Et c'est tout l'enjeu des Cuisines mode d'emploi créés par Thierry Marx, une formation créée en 2012. Le chef étoilé redonne le goût de l’avenir aux cabossés de la vie, aux fracassés du chômage, aux dépourvus de la confiance en soi. En huit semaines, les stagiares de Cuisine mode d'emploi apprennent 80 gestes indispensables en cuisine qui vont leur permettre de maitriser la coupe, le feu et le temps. Et ça marche puisque 94% des personnes formées retournent à l'emploi et que Cuisine mode d'emploi ne cesse de faire des petits : après Besançon, Marseille, une antenne doit ouvrir ce printemps à Grigny en Essonne.