

Aux Etats-Unis, la consommation d'Oxycontin, un dérivé de l'opium, s'est révélée l'une des pires crises sanitaires que le pays ait connu. Une situation largement causée par la firme Purdue Pharma, qui commercialise le produit et a tout fait pour multiplier la vente de ses petites pilules blanches.
Près de deux siècles après les guerres de l’opium qui virent les pays européens imposer leur puissance à l’Empire chinois, ce sont aujourd’hui les Etats-Unis qui sont touchés par les ravages de l’opium, ou plutôt de ses dérivés médicamenteux.
Une crise si grave qu’elle a causé l’année dernière, la mort de plus de 70 000 personnes aux Etats-Unis, soit plus que les accidents de voiture ou que les armes à feux. Une crise si grave qu’elle a même participé à une baisse de l’espérance de vie, une première depuis 1918 et la grande épidémie de grippe qui toucha l’Amérique.
Les Américains meurent ainsi, et par dizaines de milliers, de la prise de ces drogues opiacés : héroïne, morphine et autres opioïdes de synthèse comme l’oxycodone, un antidouleur très puissant, délivré sur ordonnance, mais qui a rapidement colonisé le marché noir après avoir plongé dans l’addiction près de deux millions d’Américains.
Le problème c’est que cette surconsommation américaine d’opioïdes n’a rien d’un accident. Cette contamination générale a même été savamment orchestré par l’entreprise Purdue Pharma, qui commercialise l’OxyContin, et qui a tout fait pour multiplier ses ventes...et ses profits.
C’est ce qu’explique un journaliste du Monde diplomatique, qui s’est rendu en Ohio, l’un des Etats américains les plus touchés par cette épidémie. A l’origine, ces analgésiques très puissants étaient réservés aux malades de cancer en phase terminale et à la chirurgie lourde. Mais dès 1995, le laboratoire a lancé une grande campagne de lobbying visant à repenser totalement le rapport à la souffrance du patient.
A grand renfort de vidéos, de brochures publicitaires et de prescriptions gratuites, la firme a donc vendu sa vision d’un monde débarrassé de la douleur...quitte à causer d’autres souffrances par l’usage de remèdes bien plus puissants quele mal.
Une stratégie qui se traduit par une hausse sans précédent des bénéfices de l’entreprise. Ainsi, à la fin des années 1990, on commence à prescrire à tout va de l’Oxycontin, pour soulager des douleurs jusqu’alors prises en charge par des drogues bien moins fortes. Et la stratégie de banalisation des opioïdes de la firme Purdue Pharma porte rapidement ses fruits.
En 1996, les ventes d’OxyContin rapportaient à la firme 45 millions de dollars...contre plus d’un milliard quatre ans plus tard. Des chiffres absolument délirants qui témoignent d’une véritable ruée vers l’opium savamment orchestrée. Pour vous donner un ordre de grandeur, on prescrit en 2012 près de 800 millions de doses dans le seul État de l’Ohio. Soit 68 pilules par habitant en l’espace d’une seule année !
Il faut dire, que contrairement aux autres drogues dures, l’addiction aux opioïdes se fait presque souterrainement car la première dose est bien souvent prescrite par le médecin de famille, pour lutter contre une douleur de dos ou une rage de dent. Comme nous le rappelle le Monde Diplo, les précédentes épidémies d’overdose, dans les années 1970 et 1990, avaient touché 80% d’hommes, alors que l’on retrouve aujourd’hui presque autant de femmes que d’hommes.
Le mensuel explique ainsi que la firme pharmaceutique a agi comme un cartel de la drogue, « en identifiant sciemment les régions les plus vulnérables du pays, là où se concentrent le chômage des cols bleus », anciens ouvriers de l’industrie, accidentés du travail et de la vie. Des fuites de documents internes ont même révélé que l’entreprise avait encouragé le développement de cliniques de complaisance, ces « pills mills », sortes d’établissements fantoches, créés dans le seul but d’écouler de l’OxyContin.
Le problème c’est qu’une fois tombés dans l’addiction, ces patients ont beaucoup de mal à s’en sortir. C’est en effet une dépendance particulièrement puissante et, rapidement, ces camés malgré eux se tournent vers le marché noir pour trouver des formes encore moins contrôlées d’opiacés, comme l’héroïne.
Pourtant les pouvoirs publics ont tardé à réagir, d’autant que la petite classe moyenne blanche, première victime de cette épidémie, ne figurait pas exactement parmi les priorités des dirigeants politiques. Un peu plus néanmoins que les populations pauvres et noires, premières victimes de ces drogues de synthèse, mais absentéistes notoires, et pour lesquels le gouvernement fédéral n’avait pas levé le petit doigt.
L'équipe
- Production
- Collaboration